
Certains jours, tous les jours, vous en avez assez, mais vraiment assez, du négatif et de la tête contre les murs.
Il vous faut des êtres à aimer, des sons à délirer, des images à célébrer.
Avec I drew a fish hook, and it turned into a flower, la playlist s’agrandit, ainsi que la bibliothèque, puisqu’il s’agit ici, comme toujours chez les fous de beauté de IIKKI, d’une œuvre double (n°10 au compteur), musicale et photographique.

Jake Michaels en est l’auteur, on ne sait pas trop qui il est – ah Marcel Proust ! ah Charles-Augustin Sainte-Beuve ! -, mais on l’imagine bien natif de Californie, cool et précis, méthodique dans le lâcher-prise, lâchant-prise dans la méthode.
De Los Angeles peut-être, mais dont les faubourgs se situeraient aussi bien à Brasov (Roumanie), New York, Mary (Turkménistan), Little Belize (Belize) et Brest.

Qu’est-ce que le monde pour le photographe Jake Michaels ?
Des aplats de couleurs parcourus par des personnages errants, eux, les autres, et nous, et toi, ma sœur, mon fils.
Des voitures , ce meilleur ami de l’homme.

Des signes graphiques, des lignes géométriques tendant à la pureté.
Un vaste studio de cinéma rempli de projecteurs.
Un Spectacle ayant dévoré les chairs et les âmes.

L’art est minimal, et lyrique dans l’anti-lyrisme.
C’est un quadrillage de carrelages verticaux que surmonte le fantôme d’un réverbère.
C’est un cow-boy égaré marchant seul en plein midi devant un entrepôt, ou une palissade blanche.

On est très seul dans les photographies de Jake Michaels, mais, rassurez-vous, il y a les ombres, cette mort anticipée, ou survivante.
On y est d’une classe folle aussi, comme s’il fallait célébrer Dieu tous les jours en habits du dimanche, que l’on soit humanoïde ou murs de couleurs.
Les accords sont inconscients, et immédiats, entre un feu rouge et un costume de même teinte, le liséré d’une basket et la peinture d’un trottoir, alors que le ciel décline ses nuances de bleu.

Après Edward Hopper pour la peinture, les modernes Américains auraient-ils inventé la couleur en photographie ?
La nature elle-même semble un effet de civilisation, peinte à l’ocre comme une voiture des fortunés de la middle class.
Il est temps d’embarquer pour de nouvelles Cythère postmodernes et méta-numériques.

Une arche de Noé en pleine rue, trois corps entassés à l’arrière d’un véhicule trop petit, une femme portant une burqa et un sac de fille sur lequel est exhibé comme une provocation le mot KISS.
On ne les voit pas, mais il se pourrait bien qu’ici, là, partout, vous soyez filmé par des caméras de surveillance high-tech en tenue de camouflage.
Jake Michaels photographie une vaste prison de couleurs, qui est d’abord un espace mental, très propre, ultra clean, and very chic.
Ramassez votre chewing-gum jeune homme, et la cigarette n’y pensez même pas.

Los Angeles serait-il le terminus de l’Histoire ?
Que reste-t-il à inventer ?
Une danse d’ironie, une extravagance, une élégance pour showroom et quart d’heure de célébrité.
Les angles sont aigus comme des couperets, ou, messieurs les conventionnaires exilés, des lames de guillotines.
Amateur des déserts voluptueux, Jake Michaels crée des images à la beauté tranchante.
Mais bientôt tout prendra feu, jusque l’eau même de l’oasis où vous croyez vous absoudre de tous vos péchés.
Jake Michaels, I drew a fish hook, and it turned into a flower, directeur d’édition et publication Mathias Van Eecloo, IIKKI, 2019 – 300 exemplaires numérotés
