De nouveaux rivages, par les éditions photographiques Light Motiv

le
DefEauxsombresMediterranée
© Marc Bellini

Nouvelle collection photographique au sein des éditions Light Motiv, née en novembre 2019, RECIF est dédié aux êtres migrateurs, à leurs histoires singulières, à leurs espérances, à leurs parcours heurtés.

Ayant vocation à questionner notre devoir d’hospitalité, RECIF propose des travaux imprimés en grand format sur papier journal, interrogeant ainsi la notion d’actualité, d’événement, de nécessité informative.

Avec ses deux premiers auteurs, Olga Stefatou (Chrysalide) et Marc Bellini (Eaux sombres), cette collection entend porter haut les exigences de l’art et la conscience morale.

J’ai souhaité m’entretenir avec Eric Le Brun, fondateur des éditions Light Motiv, pour présenter cette très belle initiative aux lecteurs de L’Intervalle.

Roaa
© Olga Stefatou

Vous venez de créer une nouvelle collection au sein des éditions Light Motiv (La Madeleine, Hauts-de-France) intitulée RECIF. Quel en est le principe ? Pourquoi ce nom ?

RÉCIF est une collection d’ouvrages grands, au format 35 x 50 cm, et fins (16 pages) imprimés sur papier journal. Si RÉCIF ressemble à un journal, il n’en reprend pas les codes de maquette. Chaque ouvrage est autonome comme un livre, avec un titre choisi, et s’inscrit néanmoins dans la collection. Deux titres sont parus simultanément le 7 Novembre 2019 : Chrysalide d’Olga Stefatou et Eaux sombres de Marc Bellini, avec un texte de Joëlle Bolloch. RÉCIF est la contraction de Récit photographique. Il évoque le naufrage, mais aussi le rocher, l’apparition sur la mer, le salut près des côtes. RÉCIF est une collection créée autour de nouveaux récits liés aux personnes qui partent, aux êtres migrateurs, celles et ceux exilés que l’on chasse, mais aussi celles et ceux qui désirent vivre ailleurs, coûte que coûte.

DefEauxsombresAnadyomeneCoquille
© Marc Bellini

La question des migrations comme douleur et noblesse n’est-elle pas  aujourd’hui particulièrement aiguë dans les Hauts-de-France, votre collection prenant naturellement place dans une réflexion sur la politique de l’hospitalité ?

En Europe, pas particulièrement dans les Hauts-de-France, le sans-accueil des étrangers sans visa prédomine clairement sur l’hospitalité, souvent assumée seule par les associations humanitaires d’entraide ou de soins. On a la sensation que plus le migrant dérange l’équilibre politique instable lié aux replis nationalistes, plus il est repoussé par cercles concentriques, hors de la ville, hors du pays, hors de l’Europe, hors de la vue. Nous, citoyens européens, avons la chance de pouvoir voyager à peu près partout sans contrainte particulière. « Notre ligne d’horizon devrait désormais être le passage de la migration comme souffrance à la mobilité comme nouveau droit humain », voilà ce propose la Charte de Palerme (2015) rédigée à l’initiative de son maire, Leoluca Orlando.

Nazanin
© Olga Stefatou

Pourquoi avoir souhaité une forme souple et ample, faisant songer à la façon dont la presse anglo-saxonne imagine ses dimensions ? Pour permettre à chaque image de respirer dans le libre ?

Le format journal suscite une réflexion sous-jacente à la lecture de chacun des deux ouvrages. Le lecteur a entre les mains un objet conçu comme rare, par son faible tirage, 100 exemplaires signés numérotés. Il prend le temps de tout regarder, lire, apprécier. Il est directement plongé dans l’œuvre d’un seul artiste photographe, mise en valeur sur grand format. Et le toucher du papier, la taille de l’ouvrage fait immanquablement surgir la comparaison avec le traitement de l’actualité dans la presse. Y-a-t-il un événement ? Que fait-on advenir dans RÉCIF ? J’espère que ces questions ralentissent encore la lecture et procurent simultanément un intense plaisir esthétique et l’envie aiguë de poursuivre dans la connaissance du sujet.

DefEauxsombresCadix
© Marc Bellini

Sur quels principes esthético-éthiques avez-vous choisi vos deux premiers artistes, Olga Stefatou et Marc Bellini ? Pouvez-vous présenter leurs travaux, tous deux particulièrement forts, émouvants et inventifs formellement ?

A l’origine, Marc Bellini me contacte en avril 2018 et m’envoie des séries magiques réalisées en photogrammes. Je retiens particulièrement celle qu’il nomme Eaux sombres, qui se présente sous forme d’un herbier contemporain. Marc collecte des algues sur les plages d’arrivée des exilés en Europe et les reproduit comme Man Ray en les exposant directement à la lumière sous l’agrandisseur. Apparaissent ainsi des formes mystérieuses, évocations quelquefois humaines qu’il baptise dans ce cas-là Anadyomènes. Je garde le projet, contacte Marc en lui assurant de mon intérêt, mais sans trouver tout de suite la forme requise pour l’éditer. Puis en avril 2019, c’est Olga Stefatou qui me contacte pour nous demander de diffuser son zine photographique Chrysalis sur les salons du livre auxquels Light Motiv participe. Et en recevant son exemplaire en anglais, je suis saisi par la complémentarité des deux travaux photographiques, si différents mais comme déjà liés l’un à l’autre. Deux couples d’images apparaissent immédiatement, entre les deux anadyomènes, et deux des silhouettes parmi les femmes dignes qu’Olga a photographiées, réfugiées à Athènes. Dans la même pièce inhabitée, chaque prise de vue les présente dans l’attitude qu’elles souhaitent, vêtues d’une robe taillée dans une couverture de survie. Face à leur image, elles prennent la parole et racontent chacune leur histoire. Emballé, je demande alors l’autorisation à Olga de reprendre la maquette initiale du zine pour la traduction de son ouvrage et la mise en forme suivante de la collection RÉCIF. Elle accepte aussitôt et avec l’aide de notre traductrice Michelle Ortuno, et de notre graphiste Arnaud Pavie, Light Motiv sort les deux premiers titres Chrysalide et Eaux Sombres pour le Salon Fotofever à Paris en novembre 2019.

Narges
© Olga Stefatou

Comment comptez-vous diffuser ces productions ?

La diffusion est exclusivement directe, en salons de l’édition où nous présentons également les tirages photographiques au même format 35 x 50 cm de deux œuvres de Marc Bellini et Olga Stefatou. Les ouvrages et les tirages sont aussi accessibles sur notre site editionslightmotiv.com.

Vous avez expérimenté une nouvelle technique pour les tirages d’Olga Stefatou et Marc Bellini qui accompagnent Chrysalide et Eaux sombres. Quelle est-elle ?

Oui, les tirages limités à dix exemplaires chacun sont effectués sur papier Washi fabriqué au Japon, en utilisant des encres végétales adaptées à notre imprimante douze couleurs. Le résultat est impressionnant, fait sur place dans notre atelier chez Light Motiv. Sur les images de Marc, la texture du papier crée comme des vagues d’ombre dans l’aplat noir. Et sur les tirages d’Olga, le mur en papier peint paraît comme posé collé sur le fond de la photographie.

DefEauxsombresAnadyomeneVoile
© Marc Bellini

Dans quel cadre Olga Stefatou exposera-t-elle sa série à Toronto à partir du 21 mars?

Olga expose du 21 Mars au 23 Août 2020 la série Chrysalis dans l’une des galeries de l’Aga Khan Museum à Toronto (Canada). http://agakhanmuseum.org/exhibitions/chrysalis

Mahboubeh
© Olga Stefatou

Qui seront vos deux prochains artistes dans la collection RECIF ?

Nous sommes encore en recherche et à l’écoute de tout projet photographique qui puisse s’inscrire dans notre collection sensible à l’approche créative, alternative sur les migrations et l’exil.

Propos recueillis par Fabien Ribery

chrysalide_couverture

Olga Stefatou, Chrysalide, traduction de Michelle Ortuno, Editions Light Motiv, collection RECIF, 2019, 16 pages – 100 exemplaires numérotés et signés – Design graphique Panos Papagiotou

Olga Stefatou – site

eauxsombres_couverture

Marc Bellini, Eaux sombres, texte de Joëlle Bolloch, Editions Light Motiv, collection RECIF, 2020, 16 pages – 100 exemplaires numérotés et signés – Design graphique Arnaud Pavie

Editions Light Motiv

DefEauxsombresManche
© Marc Bellini

Site personnel d’Eric Le Brun

Laisser un commentaire