
Créatrice de la marque de cosmétique et de mode Rouje, Jeanne Damas est une influenceuse, ayant plus de 1,4 millions de followers sur Instagram.
Un physique superbe, une élégance naturelle, du mystère, une femme moderne incarnant l’esprit même de la France, émancipée, libérale, progressiste.
Construite socialement par la puissance de la virtualité, Jeanne Damas n’est-elle que pure apparence, son propre produit, une petite entreprise égoïque à succès ?

La belle Parisienne est une icône, photographiée comme telle par Vincent Ferrané, qui la fait poser sur fond neutre, isolant des gestes, des parties de corps, des positions, des objets emblématiques (une cigarette, des bijoux, des talons), dans la conscience jouée des codes de l’histoire de l’art (l’odalisque, la femme fatale…).
Sous-titré XXV Figures of Jeanne Damas, l’ouvrage Iconography (Libraryman, 2019) s’apparente donc à un relevé poétique des fragments d’une idole à l’heure des réseaux sociaux, chaque parcelle ou bris d’icelle contenant tout entier l’esprit et la force de sa présence.
Pas de reste donc, ou de part cachée, mais une totalité jusque dans l’éclatement de la divine façon puzzle.
Une étude de son corps, de ses mouvements, à la façon d’un maître de la peinture classique.
Sur papier blanc épais, Jeanne Damas est une main, un sourcil, un grain de peau, quelques cheveux sur le sol formant un entrelacs de rhizomes.
Un cuisse, l’aube d’un sein, une bouche délicatement dessinée, un regard.
On se souvient de la scène culte du Mépris de Jean-Luc Godard (1963) montrant Brigitte Bardot dialoguant nue, allongée sur le ventre dans un lit aux draps défaits, avec Michel Piccoli.

- Tu vois mes pieds ? Tu les trouves jolis ?
- Oui, très.
- Et mes chevilles, tu les aimes ?
- Oui.
- Tu les aimes mes genoux aussi ?
- Oui, j’aime beaucoup tes genoux.
- Et mes cuisses ?
- Aussi.
- Tu vois mon derrière dans la glace ?
- Oui.
- Tu les trouves jolies mes fesses ?
- Oui, très.
- Et mes seins, tu les aimes ?
- Oui, énormément.
- Doucement, Paul, pas si fort.
- Qu’est-ce que tu préfères, mes seins , ou la pointe de mes seins ?
- Je sais pas, c’est pareil.
- Et mes épaules, tu les aimes ?
- Oui.
- Moi, je trouve qu’elles ne sont pas assez rondes.
- Et mon visage ?
- Aussi.
- Tout ? la bouche, mes yeux, mon nez, mes oreilles ?
- Oui, tout.
- Donc, tu m’aimes totalement ?
- Je t’aime totalement, tendrement, tragiquement.
- Moi aussi, Paul.

Ainsi va Jeanne Delmas, totale, tendre et tragique, taille nue, enfilant un jeans lui moulant parfaitement les fesses, boutonnant une robe ou ôtant par le haut un déshabillé nacré.
La belle est nature, hautement civilisée, sophistiquée s’il le faut.
Avec Iconography, Vincent Ferrané s’est approché d’un fantasme.
Vincent Ferrané, Iconography, XXV Figures of Jeanne Damas, Libraryman, 2019
