Elisabeth Jacquet, portrait d’un écrivain en Eva Gonzalès, peintre

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Eva Gonzalès

« Chère Eva je vous aime, vous, votre esprit, votre talent et votre vocation. »

Rencontre avec une jeune femme moderne pourrait être le titre d’un roman autobiographique d’Anne Wiazemsky, d’Annie Ernaux ou de Florence Delay, mais c’est un portrait, par l’écrivain Elisabeth Jacquet (Mon Mari et moi, Avec nous/Le retour), d’Eva Gonzalès (1847-1883), peintre méconnue.

Auteure d’une œuvre brève, trop vite interrompue par la mort, l’unique élève de Manet est ainsi l’objet d’une monographie construite de façon libre, ouverte, par assemblage de documents, entre enquête et récit.

Evoquant à travers son héroïne la condition des artistes femmes au XIXe siècle – elles restent à l’atelier quand les hommes s’ouvrent au grand dehors -, Eva Gonzalès, ouvrage que traversent également les figures de Berthe Morisot et Mary Cassatt, est une contribution à l’histoire de l’art et des femmes.

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Eva Gonzalès

Des vignettes montrent des tableaux, des détails, les paragraphes sont aérés, la lecture est fluide sans cesser d’être riche.

Eva Gonzalès, Rencontre avec une jeune femme moderne, est un livre mosaïque, avançant par fragments et reprises de motifs.

Comprendre une couleur : « Eva par hasard saignerait-elle sous sa robe ? L’intérieur délicat de ses cuisses entravé par des tissus maintenus grâce à une épingle de nourrice – inventée à New York peu après sa naissance (1849) par Walter Hun, mécanicien – à son pantalon de lingerie, d’ordinaire fendu pour faciliter la miction et les rapports sexuels ? Aurait-elle ses chiffons, du nom donné aux chutes du tissu rassemblées dans un sac à chiffons, qu’il fallait ensuite faire bouillir pour s’en servir à nouveau la prochaine fois ? Sans doute pas. Comment poser des heures indisposée ?

Elisabeth Jacquet mêle sa poitrine à celle de sa protagoniste, perçoit un même devenir.

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Eva Gonzalès

Morte à trente-six ans d’une embolie, Eva n’a pas écrit sur son travail, il faut donc l’inventer.

Comme modèle, elle joue encore du piano, dort, peint.

Le père est écrivain, la mère musicienne, l’enfant éprouve un sentiment distingué des choses.

Eva, dont le nom survivra notamment grâce à son mari graveur admiratif de son épouse, peindra son double, son âme, sa sœur Jeanne, au pastel. 

« J’aimerais j’aurais aimé être me trouver très / être très belle comme Jeanne / je suis plus belle en Jeanne qu’en moi – peindre Jeanne. »

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Eva Gonzalès

Mais quel fut exactement son visage ? Les femmes du XIXème siècle souriaient-elles comme les coquettes d’aujourd’hui ?

Elisabeth Jacquet consulte des moteurs de recherche, compare, explore, cherche à comprendre l’objet de son désir d’écriture.

« Elle flotte quelque part en apesanteur, le visage baigné d’une étrange aura mystique. Etre ailleurs, happée par le mystère et au-delà du monde des hommes est la revanche qu’elle prend sur son enfermement. »

1870, Paris est assiégé, la famine gagne, Eva s’est réfugiée à Dieppe. Elle est dehors.

« Pour la première fois elle peint un paysage ouvert, sans cloisons ni barrières. »

Eva s’échappe, et avec elle l’histoire des femmes allant vers l’émancipation.

Julie Manet, fille de Berthe Morisot a écrit dans son journal : « Je suis contente quand je peins beaucoup, c’est pour moi une grande jouissance, j’adore cet art qui tient à ceux que j’aimais et qui ne sont plus. »

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Elisabeth Jacquet, Eva Gonzalès, Rencontre avec une jeune femme moderne, conception graphique Juliette Roussel, L’Atelier contemporain, 2020, 168 pages

Editions L’Atelier contemporain

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