© Frédéric Martin
Je ne sais pas, je ne sais rien, mais je vois et lis L’absente, de Frédéric Martin, dont il s’agit du premier livre, comme on s’approche d’un gouffre, d’une aphasie, d’une disparition, mais sans angoisse, avec la foi de l’amour, pour l’autre, pour ce qui est, pour l’instant.
Seize images imprimées sur papier finement grainé présentées sous coffret, seize photographies détachables, seize rectangles de vision pouvant prendre leur autonomie et se recomposer à volonté.
© Frédéric Martin
L’absente est une proche, une amie, une camarade, une compagne, mais c’est aussi nous-même lorsque nous tombons ou fuyons dans nos antres personnels, loin, très loin, des humains suffrages.
L’absence est notre réserve indienne, notre pudeur extrême, notre sauvegarde dangereuse, aux abords de la folie.
Des photographies en noir et blanc, des espaces vides, des chemins, des rais de lumières, des ciels et des grillages.
Une dialectique d’ouverture et d’enfermement, de mélancolie et de joie un peu bouffonne pour ce qui est, simplement, une tasse de café, une table, une fenêtre, un lampadaire.
© Frédéric Martin
La nuit est très noire, il va falloir tâtonner, avancer en aveugle, faire confiance à la route, qui en sait plus long que nous-même sur la direction de notre destin.
L’absente est un livre éminemment précautionneux, attentif, respectueux du secret de l’autre, de ses silences, de ses troubles.
On ne sait plus tout à fait qui l’on est, qui est l’autre.
Dans la perte des repères, des édifices de raison, se lève une interrogation fondamentale sur les contours de l’identité.
Il faut attendre, accepter, puis renverser le regard, en faisant acte de création.
© Frédéric Martin
Les médicaments auront-ils le dernier mot ?
Les docteurs ont décidé, nommé, prescrit, mais ne faudrait-il pas aussi connaître le diagnostic des arbres, et des oiseaux, et des yeux tapis dans l’ombre des sous-bois ?
Quand l’exil intérieur devient une autre nature, peut-être faut-il croire encore au dialogue des peaux, instinctif, instinctuel, animal.
L’absente est belle, désirable, éloignée et terriblement présente, dans sa chevelure, dans son dos, dans sa bouche.
Entendre la voix de René Char, inscrite sur papier calque : « Modeler dans l’apocalypse, n’est-ce pas ce que nous faisons chaque nuit sur un visage acharné à mourir ? »
Frédéric Martin offre à son aimée des profondeurs de noirs pour des profondeurs d’absence, un dialogue sans jugement, une nef fragile en seize dons de lumière.
Frédéric Martin, L’absente, conception graphique Jérôme Bessone, Bis éditions, 2020 – 500 exemplaires