Nouveau, vers l’illumination, par Nicolas Comment, auteur compositeur photographe (partie 2)

Route de la Sainte Victoire

Vers la Sainte-Victoire © Nicolas Comment

Afin d’accompagner la sortie le 15 janvier 2021 aux éditions Mediapop de son album concept, Nouveau, dédié au poète Germain Nouveau (1851-1920), j’ai proposé à Nicolas Comment, son auteur, le principe d’un entretien en trois fois, accompagné de photographies et de clips.

Joie de présenter ce compagnon de Rimbaud, son double peut-être.

Joie d’aller avec Nouveau vers le dépouillement.

Joie de retrouver avec lui la sensation mystique de l’existence.

Joie de réentendre les surréalistes s’enchanter de leur prédécesseur.

Joie d’écouter et de lire Nicolas Comment, un autre poète, en textes, images et musiques, ressuscitant un lointain parent inconnu, dans la généalogie secrète du lyrisme français.

Joie d’imaginer Nouveau en Jedi aux yeux anormalement bleus souriant de l’hommage que lui offre, cent ans après sa mort, un autre baladin.

Graffiti originel, Saint-Maximin-la-Sainte-Baume

Graffiti originel Saint-Maximim-la-Sainte-Beaume © Nicolas Comment

Les titres de vos compositions, Mendiants, Les Chercheurs, Dévotion, Poison perdu, sont très rimbaldiens. Comment avez-vous composé votre album ? Comment sont nées vos songs ?

Le tracklisting du disque est effectivement un petit jeu de piste rimbaldien : Mendiants, écrit en janvier 1875, parle précisément de la liaison de Nouveau avec Rimbaud. C’est leur histoire. L’histoire de leur séparation, ayant eu lieu après le voyage de Londres, en 1874 : « Le portrait du « vieux bébé », avec ses « yeux dévoyés », son attifement de boucles et de ganses », ne peut-être que celui de Rimbaud » écrit Maurice Saillet dans la préface des Œuvres complètes de Nouveau (Gallimard, 1974). Et Saillet ajoute : « Les allusions aux « cœurs noyés », aux sanglots, aux désirs et aux manigances […] en disent plus long – et plus vrai – que toutes les pages alliacées que l’on a écrites sur cette liaison. » Dans Les Chercheurs, il me semble que Nouveau nous parle encore des Alchimistes du Verbe (« Noirs alchimistes, verts sorciers » / « vieux faiseurs d’or »)… Poison perdu à ceci d’étonnant qu’il s’agit d’un poème qui a été attribué à la fois à Rimbaud et à Nouveau… Quant à À J.A.R… (à Jean Arthur Rimbaud),c’est un texte d’outre-tombe, directement adressé à la dépouille de Rimbaud dont Nouveau vient d’apprendre – tardivement  – le décès. Enfin Dévotion, posé comme un point d’interrogation en fin d’album, est un clin d’œil à la rédaction commune et londonienne (au moins en partie)  des Illuminations… Depuis la publication des recherches de Henry Adrien de Bouillane de Lacoste en 1949, nous savons en effet que le manuscrit original porte la trace de quatre mains : celles de Rimbaud donc et de dix autres doigts, ceux de Nouveau.

Clips Mendiants : https://www.youtube.com/watch?v=zl1y6PgxH0w

Neige d'été, la Guiramane, Trets

Neige d’été © Nicolas Comment

Nouveau fut publié après sa mort. Comment lisez-vous sa Doctrine de l’amour ?

De La doctrine de l’amour, je n’ai rien retenu dans l’album. Aucune chanson du disque n’est tirée de ce recueil. Il s’agit avant tout d’un texte religieux, qui me laisse un peu froid. Je n’ai pas le « vice » de la religion de l’Église… Je préfère les petites chapelles romanes aux grandes cathédrales gothiques chantées par Nouveau dans ce recueil (Les cathédrales). Même s’il y loue les « ouvriers royaux », ces sculpteurs qui « n’ont point gravé leur nom sur la pierre éternelle », son lyrisme chrétien me touche moins que ses premiers poèmes athées ou érotiques. Nouveau est totalement excusé, car ce recueil n’est pas totalement de son fait. C’est un recueil réorganisé par Léonce de Larmandie qui – pressentant que Nouveau souhaitait le détruire (ce qu’il fit…) – aurait appris par cœur ce grand ensemble de poèmes pour pouvoir le retranscrire et sauver cette œuvre « chrétienne ». Mais Nouveau s’opposera violemment à la publication de Savoir Aimé (publié par les Amis de l’Auteur, sous les Auspices de la Société des Poètes Français en 1904). Il écrira à Larmardie en lui disant «  vous me faites dire ce que vous voulez. » …

Le Nouveau zutique, un peu punk, n’est-il pas pour vous plaire ?

Tout à fait. Provocateur, pornographe, proto-punk, oui ! C’est le Nouveau de la bohème parisienne : le Nouveau « vif » du groupe Les Vivants (avec les merveilleux Jean Richepin et Raoul Ponchon…), le Nouveau buveur d’eau du club des Hydropathes (fondé par… Émile Goudeau). Le Nouveau allumé qui prend des « absinthes beurrées » avec Rimbaud et Verlaine. Le Nouveau du Chat noir et de l’Eldorado. Le Nouveau poly-amoureux qui enlace jolies filles et jolis garçons au bal Mabille, sous les lampions des « bandes de musique rares »… Bref, le Nouveau neuf !

Église, Pourrières

Eglise de Pourrières © Nicolas Comment

La dimension mystique de Nouveau, guidé par une sorte d’esprit de sainteté, vous touche-t-elle particulièrement ?

Oui. Parce qu’elle est une radicalité folle, débridée, extraordinairement subversive. Germain Nouveau voulait le bien. « Il l’a cherché », comme l’écrit Yannick Haenel dans la préface de l’album, et y a laissé sa peau. Car la religion, là, a peut-être tué un grand poète… Comme Saint François d’Assise, comme Benoît-Joseph Labre, son maître spirituel, il a perdu sa vie à tenter de racheter celle des autres. Est-ce bien, est-ce mal ? On raconte qu’il insultait les gens qui lui donnaient l’aumône, à Aix-en-Provence. Il empêchait les obèses d’entrer à l’église en leur conseillant de commencer par manger moins avant que de se présenter devant le porche. C’est violent, mais c’est extrême la religion, non ? Notre époque en sait quelque-chose… Il faisait des signes de croix avec sa langue, sur le sol. C’est peut-être du sado-masochisme non canalisé, non assumé ? Et lorsque Cézanne, à Aix, l’invitait à déjeuner parce que Nouveau semblait avoir faim, le poète errant rejetait le repas qui lui était offert. Ce qui scandalisait la bonne, vexée car incapable de comprendre qu’il rejetait non pas sa cuisine, mais le confort grassouillet dans lequel était enferré Cézanne. À cause de la religion Nouveau a vécu la seconde partie de sa vie en parabole… Passant pour fou aux yeux du monde, il était en fait dans une cohérence totale avec sa pensée. Il renversait simplement le sablier… Et en cela, je respecte sa folie mystique.  

Rue Germain Nouveau, Pourrières

Rue Germain Nouveau, Pourrières © Nicolas Comment

Nouveau écrivant « Mais je ne suis qu’un fou, je danse, / Je tambourine avec mes doigts / Sur la vitre de l’existence. » n’est-il pas ici frère de Jacques Higelin, dont vous avez écrit en 2019 une biographie pour les éditions Hoëbeke/Gallimard ?

Bien sûr,  et c’est là aussi le sens de ma recherche, Nouveau, à l’instar de Maurice Rollinat, s’intéressa  aux prémices de la chanson moderne : il étudia et recopia les chansons populaires de sa région natale, il s’inscrivit aux concours de chant de l’Eldorado, un des premiers café concert parisien… Comme une sorte de « hobo », de vieux bluesman, français il est assurément un des pères de la chanson d’auteur, de la chanson dite « rive gauche » : de Jacques Higelin, oui, mais également de Léo Ferré, Barbara, Brel ou Brassens qui reprit notamment Les oiseaux de passage de Jean Richepin, autre poète qui, dit-on, apprit à Germain à jongler avec des assiettes.

« Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d’atteindre sa chimère,
Plus d’un, l’aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d’azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu’importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l’haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L’averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l’abîme et chevauchent l’orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l’étendue ample, rois de l’espace.
Là-bas, ils trouveront de l’amour, du NOUVEAU.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c’est le pays de l’étrange et du rêve,
C’est l’horizon perdu par delà les sommets,
C’est le bleu paradis, c’est la lointaine grève
Où votre espoir banal n’abordera jamais. »

Les oiseaux de passage, Jean Richepin

Clip de Brassens : https://www.youtube.com/watch?v=wRdXZRZ5lkE

Propos recueillis par Fabien Ribery

nouveau

Nouveau, par Nicolas Comment & Éric Elvis Simonet, LIVRE-DISQUE, préface de Yannick Haenel intermèdes de Laurent Levesque ℗ Mediapop Records (physique) – Kwaidan / Idol (digital), 2021

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Nicolas Comment – site officiel

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Mediapop Editions

Sans titre

© Nicolas Comment

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