Retournement de situation, Impression à encre pigmentaire sur papier coton, encadrée, 40 x 30 cm, 2008 © Nicolas Boulard
« Dans Théorie de la démarche [1833], Balzac écrit : ‘Virvoucher exprime l’action d’aller et de venir, de tourner autour de quelqu’un, de toucher à tout, de se lever, de se rasseoir, de bourdonner, de tatillonner ; virvoucher, c’est faire une certaine quantité de mouvements qui n’ont pas de but ; c’est imiter les mouches.’ »
Léa Bismuth, auteure, commissaire d’exposition, aime la forme dialogique pour penser le phénomène artistique.
Le jour point à peine, ils sont deux, et ont envie de se parler en se promenant.
L’arbre de Saché (hommage à Edward Steichen), Impression numérique, 120 x 176 cm, 2020 © Léa Bismuth & Nicolas Boulard
La discussion avec Nicolas Boulard, fils de vigneron, artiste iconoclaste – y en aurait-il d’autres ? -, durera des mois, retranscrite dans Situations des Vallées, à l’occasion d’une exposition éponyme au Musée Balzac – Château de Saché.
« Derrière toutes les œuvres de Nicolas Boulard, précise Léa Bismuth dans un texte repris sur son site, une inquiétude persiste, comme une alerte ironique, un pas de côté pointant du doigt là où ça fait mal. C’est en cela que son positionnement est une écologie, manière d’ouvrir la géographie en adoptant une éthique subjective. Il s’agit d’arpenter des territoires, de décloisonner les pratiques et les gestes. Dans le livre Rhône (2017), on peut lire, comme un manifeste : ‘De l’art minimal brut tel que le définissait Erik Dietman. Des matériaux bruts, prélevés sur les lieux. Faire de l’art avec sa tête, avec ses pieds. Être. Le sens du lieu. Le là. Déplacer le lieu, être mobile et aller sur le terrain. Y aller.’ »
© Nicolas Boulard
Entre ces deux-là, un grand B., comme Honoré de Balzac.
Un B. qui se soule au café, qui mange beaucoup, qui veut tout, qui danse une Polonaise.
Le petit B., comme Nicolas Boulard, bricole, pêche à la truite dans l’Indre, dissémine, débouche les bouteilles du sens trop bien établi.
Tous deux, corps ouverts, vulnérables, serpentent dans le paysage, s’attardent aux carrefours, écrivent en paroles, pour le réinventer, ce qui s’est déjà produit.
Pierre Molinier [1900-1976], Autoportrait en Séraphîta, Photographie encadrée, tirage d’époque sur papier, 17,8 x 12,6 cm, 1966, Collection M. et Mme Lugosi
Lui, arrivé à pied au Château depuis Tours, 21,7 km, passant la journée près du lit du grand B. : « On commence par observer le lieu, la situation. La chambre est au deuxième étage, orientée à l’est. »
Ne pas craindre de s’ennuyer, ne pas aller trop vite, écouter.
Etre un sanglier orange dans un espace sauvage, entendre les chiens en meute, lancer des formes, construire un processus, rester assis d’abord.
Bibliothèque : Séraphîta, béton, livre, 19 x 11 x 28,5 cm, 2020 – Œuvre unique © Nicolas Boulard
« Entendre les oiseaux qui viennent perturber la solitude de l’écriture. Balzac parlait de ces mêmes oiseaux. La situation n’a pas changé. »
Elle, Léa Bismuth, très labarthienne, écrivant qu’elle écrit un scénario (en parler à Alain Robbe-Grillet, et à Jacques Rivette) : « Il suffirait d’avoir une idée neuve. »
En effet, comment écrire vraiment, sinon, dans l’espace d’écriture d’un autre ?
Tous deux après avoir relu, ou pas, S/Z de Roland Barthes (1970), essai consacré à la nouvelle Sarrasine, de Balzac : l’herméneutique serait-elle un virvouchage ?
Entre Guy DeBord (dérives situationnistes, psychogéographie) et Bataille (le Bleu du ciel au-dessus de Saché comme à Barcelone, où les chats sont Broyés), y aurait-il Balzac à la Besogne ?
Penser Balzac poupée-gigogne à partir des marges, des marches, des sous-bois ou des tourelles des Landes de Charlemagne.
Ah les nuages, les beaux nuages… de la centrale nucléaire de Chinon.
« Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte, / Sans songer seulement à demander sa route, / Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi, / Faire un tiers de chemin jusqu’à près de midi / Voir sur sa tête alors amasser les nuages, / Dans un sable mouvant précipiter ses pas, / Courir, en essuyant orages sur orages, / Vers un but incertain où l’on n’arrive pas / Détrompé vers le soir, chercher une retraite / Arriver haletant, se coucher, s’endormir / On appelle cela naître, vivre et mourir. / La volonté de Dieu soit Faite ! »
Voici Situations des Vallées, un panfilm de Léa Bismuth, Nicolas Boulard, & Jean-Pierre Claris de Florian.
Léa Bismuth et Nicolas Boulard, Situations des vallées, Editions de Dés, 2020 – 150 exemplaires
Exposition Situations des Vallées, Musée Balzac – Château de Saché / une programmation ACT(e)s, Parcours d’Art Contemporain en Touraine / du 13 mars au 26 septembre 2021 (dates à vérifier), commissaire artistique Anne-Laure Chamboissier