Iran, film noir et métaphysique, par Pauline Alioua & Chris Garvi, photographes

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© Chris Garvi

Quel livre !

A l’Iran, pays aussi important qu’il est peu connu, il fallait un livre puissant sachant préserver ses secrets, sa pudeur, son mystère profond.

Tableaux d’Iran, ouvrage de grand format, à laisser longuement ouvert sur la table du salon – ou sur le lutrin du cabinet de travail -, en autant de jours qu’il y a de pages, est exactement cela : la possibilité d’un voyage au long cours, un spectacle sans facilités spectaculaires, un arc de triomphe, une arche ouvrant sur une vaste énigme.

Comme Jean-Christophe Béchet, qui signe la préface, je ne connais pas l’Iran, si ce n’est essentiellement au travers des films d’Abbas Kiarostami et de Moshen Makhmalbaf, ainsi que des poèmes de Rûmi et de Hafez, mais le livre de Pauline Alioua et Chris Garvi me donne la sensation d’en approcher l’essence.     

Chaque double page, non légendée, est tout à la fois un fragment d’identité et une totalité.

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© Pauline Alioua

Les corps se plaçant naturellement dans l’espace indiquent un ordre transcendant, comme chez Henri Cartier-Bresson.

A l’argentique noir & blanc, Pauline Alioua saisit des atmosphères de film noir : grain de l’image, halos de lumières sculptant les silhouettes sur fond de ténèbres.

On ne sait pas très bien où l’on est, le territoire est géographiquement situé, mais c’est aussi celui de l’art, l’aspect documentaire ne se substituant jamais à la vision intérieure.

Beaucoup de costumes noirs, de chevelures noires, de voiles noirs : l’Iran se protège des faux aveuglements.

Les photographies de Chris Garvi, très attentif au combat de l’ombre et de la lumière, sont en couleur, parce que l’Iran est aussi à lire dans ses nuances chromatiques, ses verts, ses mauves, ses bleus.

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© Chris Garvi

Surfaces monochromes d’une porte, d’une tôle, d’un autobus, sur lesquelles apparaissent des visages généralement inquiets, graves, soucieux.  

La tension est palpable, celle d’un peuple dont le calme apparent laisse deviner une colère à la fois sourde et immense.

On se rencontre entre hommes dans des sous-sols, autour de tables de billards, sur des parkings, dans des terrains vagues.

Il y a du néoréalisme italien ici, dans la façon dont la poussière, la lumière et les corps en attente se lient en un même plan où chaque être, chaque chose, est à la fois seul et embarqué dans un destin commun.

Tout tient encore, mais tout pourrait basculer dans le tragique, comme lors d’une procession funéraire se transformant en un instant en violences d’émeute, mue par une force de désespoir renversée en actes de démesure.

La photographie arrête le temps, le densifie, le restitue dans son ordre géométrique hautement symbolique.

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© Pauline Alioua

Tableaux d’Iran est un labyrinthe métaphysique que parcourent inlassablement des marcheurs comme s’ils y vivaient en clandestins traqués, ou tombés en arrêt par le décret de quelque loi supérieure.

Des murs, des grillages, des lézardes, et des femmes fantômes qu’accable le soleil.

Parfois, rarement, des sourires.

On prend des cars, oui, mais pour quelles nouveautés ? pour quelles surprises ? pour quelles libertés ?

La nuit des rues appartient aux hommes, qui se frôlent, se défient, ou se croisent avec indifférence, avant que de se laisser engloutir par l’obscurité, cette grande égalisatrice.

Les enfants jouent quelquefois, mais pour beaucoup le cœur n’y est pas, qui doivent accepter très vite le pouvoir adulte.

On se débrouille, on bricole, on survit, et l’on disparaît soudain comme dans un film d’Antonioni.

Passent un mollah, une mobylette, un colporteur.

Une voiture est garée le long d’une route désertique.

L’Iran chiite s’écrit, se chante, mais ne s’enivre que peu d’images d’elle-même, considéréés comme idôlatres.

Il faut probablement être chrétien pour croire à ce point aux leçons du visage témoignant du divin.

Tableaux d’Iran n’est tiré qu’à deux cents exemplaires, c’est un scandale, c’est un superbe secret.

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Pauline Alioua & Chris Garvi, Tableaux d’Iran, texte (français/anglais) de Jean-Christophe Béchet, Arnaud Bizalion Editeur, 2021, 144 pages – 200 exemplaires

Arnaud Bizalion Editeur – Tableaux d’Iran

Pauline Alioua – site

Chris Garvi – site

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