©Elie Monferier / Origini Edizioni
Contenu dans un classeur en carton bordeaux fait à la main, Fable, du photographie Elie Monferier – dont L’Intervalle a déjà présenté en janvier 2020 le terrible et sidérant Sang Noir (2019) – est un livre à la matière dense, énigmatique, relevant de forces primitives, païennes, presque diaboliques.
Il faut abandonner ici toute prétention de maîtrise mais tenter de dialoguer d’inconscient à inconscient.
Fable est un rite dont nous ne possédons pas la clé interprétative, mais peu importe puisqu’il s’agit d’abord d’accepter ce qui nous dépasse, ou de fuir face à la force de ce qui joue sur les pages.
©Elie Monferier / Origini Edizioni
Le langage est mis au défi de formuler l’indicible, voilà pourquoi il faut entrer en poésie.
Publié comme toujours avec un soin extrême par Origini Edizioni, cet ouvrage à la couverture déchirée et aux différentes textures de papiers, comprenant quelques images artisanalement collées çà et là, invite à basculer de la logique causale et des repères euclidiens habituels à une raison supérieure, plus mystérieuse, à la fois plus savante et plus archaïque.
Nous mourons de la normopathie, et de l’emprisonnement médiatico-politique, mais la nature, qu’elle soit de l’ordre de l’infiniment grand comme de l’infinitésimal, sait nous rappeler le ridicule de nos illusions de domination.
©Elie Monferier / Origini Edizioni
Face à la puérilité humaine, à son immaturité constitutive, à son incapacité à surmonter le stade néoténique, il y a la cruauté, le désir fou, la violence, la dévoration entre les espèces.
Fable ne fait surtout pas la leçon, mais propose l’épreuve d’une expérience intérieure, d’un inouï, d’une désorientation majeure.
Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir, comme toujours, mais de s’abandonner à ce qui est, à ce qui percute le regard, à ce qui pourrait prendre les contours d’une révolution intime.
©Elie Monferier / Origini Edizioni
Il faut se perdre dans les fougères, devenir végétal, traverser les ronces, allumer un grand feu.
La nuit n’a jamais été aussi noire, ni le ciel si beau.
Il pleut des étoiles, il pleut des oiseaux blancs, les roches éclatent, tout est en cendres, la mer est un firmament, nous sommes des naufragés dans le ventre de l’univers.
©Elie Monferier / Origini Edizioni
Fable est un tohu-bohu, un chaosmos, un film fantastique d’Andreï Tarkovski, ou un giallo métaphysique.
On tâtonne dans la grotte, on se met à courir vers la lumière, on s’écorche aux barbelés d’une clôture, on tombe, on est un amas de molécules déchirées.
On est du sang de sacrifice, cou coupé sur l’autel d’une table de cuisine, on est un renard égorgé, la hure d’un sanglier.
On s’étreint dans le sale, on se cache le visage, on jouit de n’être rien, d’être tout.
©Elie Monferier / Origini Edizioni
L’angoisse est notre chance, comme le silence laissant entendre le tambour du coeur.
« Car s’il est entendu que la photographie n’apporte aucune réponse, tout comme la poésie, écrit Elie Monferier, la photographie est élaboration incessante d’une question. Une question donnée au regard. »
Elie Monferier, Fable, quotes from The Notebook, Agota Kristof, project and design by Valentino Barachini, copwriting by Matilde Victoria Laricchia, Origini Edizioni, 2021, 63 pages – 150 copies numbered and signed
On trouvera dans le cahier B du huitième numéro de la revue Halogénure (avril 2021) un portfolio renversant d’ Elie Monferier, que j’accompagne également d’un texte