Adults only, ABC temple de la pornographie, par Jimmy Pantéra, essayiste

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Il faut reconnaître aux producteurs et auteurs de cinéma pornographique un talent certain pour les titres.

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A regarder/lire Cinéma ABC, cinéma X historique de Bruxelles, indubitablement lieu de haute mémoire, je ris sous cape : Sexlife Bizarre, Only in my dreams, Jeunes filles au pair, La semaine du plaisir, Débauchés nouveau style, Savante impudeur, La bagatelle en caravelle, L’inconnue vous attend, A good time with a bad girl, Le bouche à bouche, La conquête des voluptés, L’orgasme pour tous, La vicieuse, Take me naked, White slave girls, Journal intime d’une demi-vierge, Prenez la queue comme tout le monde, J’ai droit au plaisir, Pour un dollar d’amour, Les caresseuses

Le langage est déjà un plaisir, une électricité, une décharge mentale.

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Aujourd’hui, sur les moteurs de recherche des sites porno, des catégories, de la rationalisation, du découpage, et non cette fête du verbe préludant à la masturbation.

Ouvert en 1972, fermé en 2013, le cinéma ABC était situé au cœur même de Bruxelles, sexe battant la mesure du temps de la capitale belge, éloge de l’excitation publique en pellicules argentiques only.

« Tel un musée clandestin, précise l’éditeur, Maison CFC, l’ABC [dirigé par le mystérieux George A. Scott] débordait de bobines de celluloïd, de piles d’affiches et de photographies, un patrimoine sauvé in extremis de la destruction par le Nova. »

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Le Nova, magnifique cinéma underground à deux pas de la Galerie de la Reine, où j’allais voir les films de l’ami Jean-Jacques Rousseau, cinéaste inclassable, auteur de films d’actions à la Ed Wood, fanatique des tournages sauvages et des attractions foraines sur scène entre deux parties de film (faux combats de catch, hypnose collective, actes terroristes pour rire).

L’ABC est un mythe, que restitue avec beaucoup d’enthousiasme un livre de Jimmy Pantéra sous-titré « La nécropole du porno » – préfacé par Laurent de Sutter -, à qui l’on doit notamment Kitsch Catch (Paths, 2019), écrit avec le spécialiste de l’étrange Barnabé Mons.

« Présentant des longs métrages pornos américains, allemands, suédois, danois, français, souvent triturés et mutilés, des films soft lardés d’inserts hard, mais aussi des perles rares, l’ABC figurait une sorte de gouffre, l’ultime cercle de l’enfer d’un genre cinématographique pulsionnel honni, enfantant ses propres objets filmiques primitifs. »

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« Live show », « film à caractère pornographique », l’ABC est un cinéma – ouvert 7 jours sur 7, de midi à vingt-trois heures -, mais c’est aussi un lexique.

Des cris de plaisir, réels ou simulés, et des phrases qui s’envoient en l’air : « elle gémit, elle hurle, elle mord de plaisir », « la semence du plaisir », « quand la chair a des raisons que la vertu ignore », « ce doux va et vient qui fait tant de bien », « la pornographie, c’est l’érotisme des autres », « plus sexy que le sex », « femmes pour femmes », « public averti »…

Farandole de seins, de fesses, de sexes sur grand écran, et strip-tease de dix minutes une fois par heure pour les afficionados.

Puisque chacun se rend au cinéma pour voir ce qu’il ne peut toucher, Laurent de Sutter peut affirmer tout de go : « Il n’existe aucune différence entre une salle de cinéma pornographique, et une qui ne le serait pas. En réalité, tous les cinémas sont des constructions optiques de nature pornographique ; toutes sont des dispositifs qu’on pourrait nommer pornoptiques – des dispositifs où le voir tient lieu de tout. Il faut les aimer le plus fort que nous pouvons. Il faut les aimer, car leur disparition signalera sans doute que les êtres humains, alors, auront perdu une manière étrange, louche et belle, de désirer, donc de ne pas être tout à fait morts. »

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Réunissant textes critiques et témoignages, Cinéma ABC est un ouvrage émouvant sur un lieu populaire ayant toujours projeté des films en 35mm dans une odeur, dit-on, caractéristique du plaisir moite des spectateurs – sperme et eau de Javel.

Un cinéma générant ses propres codes pour un public quasi exclusivement masculin (s’asseoir seul, rôder du côté des toilettes, s’adapter à la pénombre, se frôler parfois).

En quelques paragraphes explicites, Jimmy Pantéra retrace l’histoire du porno, des contraintes pesant sur la sexploitation, de sa libre expression, de ses auteurs majeurs : courts métrages grivois et stags du début du siècle, code Hays à Hollywood, nudist movies aux USA, la Suédoise aux seins nus, roughies américains, Russ Meyer, Joe Sarno, polars sexy à la française, Jean Rollin, Jess Franco, le mondo italien, les loaps américains avant la vague hardcore, Lasse Braun, porno chic…

Stripteaseuses, projectionnistes, clients, producteurs, témoignent.

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Samantaha, stripteaseuse de 2006 à 2009 : « Même si au départ je me suis montrée réticente, j’ai fini par me lier avec certains clients. Notamment un musicien de La Monnaie qui m’invitait au resto chinois d’en face. Je croyais qu’il me courtisait avec beaucoup d’égards, puis je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un homo dépressif qui passait ses dimanches entiers à picoler dans les allées de l’ABC. Au fond, je me suis plutôt bien entendue avec les vieux gays, les anciens régisseurs de théâtre ou les drags queens, qui me complimentaient sur mes performances et mes tenues. J’avais aussi un faible pour un jeune exhib’. Je le trouvais mignon. En descendant des escaliers, je lui claquais les fesses bien fort quand je le trouvais cul nu. Un jour, il m’a offert à manger, mais il s’était trompé sur moi et me prenait pour une pute… »

Très fouillé, précis, Cinéma ABC est conçu comme un mausolée pour le cinéma porno, une histoire de l’œil louche avant la déferlante numérique.

Ah, la Suédoise aux seins nus sur celluloïd que nos cadets ne connaîtront pas !

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Jimmy Pantéra, Cinéma ABC, La Nécropole du porno, direction éditoriale et coordination Christine De Naeyer, suivi éditorial Thomas Keukens, relecture Jacques Laurent, mise en page Jimmy Pantéra & Collin Hotermans, textes Jimmy Panthéra, Laurent de Sutter, Cinéma Nova, éditions Maison CFC, 2020, 308 pages

Maison CFC

Les éditions CFC publient également Cinéma de Bruxelles, de Marie-Françoise Plissart et Isabel Biver, somme passionnante montrant les façades et les intérieurs des anciens cinémas de la capitale dans leur état actuel.

Accompagné de documents anciens, de souvenirs de spectateurs et de professionnels, cet ouvrage de nature encyclopédique permet de restituer, en images et paroles, l’âge d’or des salles d’autrefois, tout en faisant le panorama de celles d’aujourd’hui.

Où l’on retrouve bien entendu le sulfureux ABC.

Cette banderole, sur le fronton du cinéma Nova : « Ici, nous n’admettons pas les rafles. Stop à la répression des sans-papiers ».

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Le cinéma, c’est aussi une politique.

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Isabel Biver & Marie-Françoise Plissart, Cinémas de Bruxelles, éditions Maison CFC, 2020, 240 pages

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Latina dit :

    Quand je pense que ce cinéma a existé pendant plus de 42 ans …

    J’aime

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