Une théologie de la lumière, par David Sauveur, photographe

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©David Sauveur

« Jérusalem est suspendue, comme nous tous, entre le début et la fin des temps. » (David Sauveur)

Le voici le pays de Canaan, et son peuple multiculturel, juif, arménien, arabe, chrétien.

Le voici baigné d’une lumière irradiante, traversant les barbelés et les murs crénelés.

Dans le regard de David Sauveur, photojournaliste exceptionnel ayant arrêté la photographie à la suite d’une agression à Collioure en août 2011 le laissant lourdement handicapé, Jérusalem est une ville où la beauté se partage.

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©David Sauveur

Ayant travaillé au Polaroïd, le photographe témoigne d’une cité-monde où les tensions quotidiennes semblent malgré tout transcendées par la foi de chacun et la sensation d’habiter un espace sacré.

Le titre de son livre au format carré, To the last path, que publie à Marseille les éditions Le Bec en l’air, évoque le chemin de croix du Christ avant sa mise à mort.

En ces lieux fondateurs, David Sauveur regarde deux petites filles juives dansant sur des pavés, non loin du dôme du Rocher, lieu de culte musulman des plus symboliques. On se souvient peut-être que la présence du premier ministre israélien Ariel Sharon sur l’Esplanade des Mosquées en 2000 déclencha la Seconde Intifada, période pendant laquelle le photographe se trouvait une nouvelle fois à Jérusalem.

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©David Sauveur

David Sauveur photographie la diversité des actes religieux et des pratiques cultuelles avec une distance toujours extrêmement respectueuse du silence dont chacun a besoin pour se recueillir.

Le flou très beau de ses images impose d’entrer dans une sorte de monde flottant déjouant les rigidités identitaires pour le trouble de la dévotion.

Il y a des halos de lumière, des ombres puissantes, des corps pleins de grâce.

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©David Sauveur

Il y a foule, mais aussi exil intérieur, dialogue avec l’invisible, que l’on pose la main sur un mur historique, ou qu’on s’amuse avec un cerf-volant lancé d’un toit lorsqu’on est un enfant portant une kipa.

Une touriste étrangère tenant une ombrelle rose passe dans le champ de vision, robe fluide contrastant avec le costume si sérieux des orthodoxes.

Des soldats rient, des religieuses chrétiennes en habit marial croisent un prêtre africain tout de noir vêtu, tandis que, quelques pages plus loin, un corps d’une fidèle semble se laisser absorber par les piliers d’une basilique.

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©David Sauveur

La beauté des couleurs fait quelquefois songer à l’œuvre de Didier Ben Loulou, ce frère de Judée.

Des amas de pierres, des silhouettes, des attitudes pieuses, et la puissance des palmiers de gloire de la chrétienté.

Des hommes fument le narguilé, le temps est arrêté, le bleu du ciel est froid et idéal.

David Sauveur contemple avec une grande douceur un lieu qui ne l’est pas forcément, observant sans ironie des scènes de l’humaine condition.

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©David Sauveur

Arpentant chaque quartier, le photographe regarde des enfants en conciliabule ou des hommes se prosternant, des barbes et des voiles, des keffiehs et des bérets de policiers.

Ici, chacun vaque à sa foi, espérant peut-être davantage la confusion des prières que leurs antagonismes.

Le malheur et la perte de sens touchent chacun, les communautés sont des amers dans la tempête des existences égarées ou s’égarant.

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©David Sauveur

On bat les cartes, on rit, on fait le marché, on joue au foot, on étend le linge, on se rend au cimetière, que l’on soit de l’Est ou de l’Ouest. 

Des chameliers discutent porte de Jaffa, une femme pose le front sur un pilier d’entrée de l’église du Saint-Sépulcre, des cailloux sont posés sur des tombes juives.

Dans un texte lumineux placé en postface d’un ouvrage où l’accueil de la beauté est un effet de l’intelligence sensible, Vincent Lemire, historien, maître de conférences en histoire contemporaine et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem, écrit : « Je m’arrête sur le carré, le carré des photos de David, ou plutôt le carré m’arrête, me fait signe, à son tour. Sait-on que, dans l’architecture islamique, carrée est la terre, rond est le ciel ? Carré est l’imparfait, le provisoire, l’à-peu-près, le divers et le trop humain… rond est l’éternel, le très haut, le trop haut, le divin, l’unique. Le dôme du Rocher figure très exactement ce passage de la terre vers le ciel. Cercle parfait posé sur une esplanade plusieurs fois quadrangulaire. Et entre les deux, un octogone, celui qui porte le dôme, celui qui relie la terre et le ciel, le bâtiment par lequel doit passer le fidèle. Passage, transition, prière, entre la terre et le ciel. Un octogone, aussi, comme le diaphragme par lequel passe la lumière pour venir impressionner la pellicule, comme l’éclat irisé de la lumière photographiée. »

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©David Sauveur

Passer du carré profane au cercle l’esprit en éveil, voici To the last path, modeste et éblouissant.

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David Sauveur, Jérusalem, To the last path, texte Vincent Lemire, Le Bec en l’air, 2021, 104 pages

David Sauveur – Le Bec en l’air

David Sauveur est membre de l’Agence VU’

David Sauveur – Agence VU’

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Se procurer To the last path

 

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Très bel article.
    Une autre vision, plus humaine…
    Très belles photos. Elles touchent.

    Miss G pensive

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