« Evidemment il aurait fallu connaître Makhno durant l’époque de sa « grandeur » là-bas, en Ukraine, pour donner son portrait complet. Mais en réalité, comment savoir, quand il se présentait sous son jour réel, durant la période de sa gloire panukrainienne, ou à Paris en tant qu’émigré pauvre dans un pays étranger. Je pense que l’histoire a besoin tout d’abord de vérité, et justement, cette vie d’une période de sa vie je vais tâcher de l’exposer. » (Ida Mett)
C’est l’auteur de l’excellente Anthologie de la subversion carabinée (L’Âge d’Homme, 1988), l’entarteur gloupitant Noël Godin, qui, lors d’une rencontre dans une friterie d’Ostende, me parla le premier du révolutionnaire anarchiste Nestor Makhno (1888-1934).
Objet de légende, ce paysan ukrainien ayant fabriqué des bombes artisanales dans la marmite servant à concocter la soupe familiale, possédait une personnalité complexe, propice à toutes les exagérations et extrapolations.
Cherchant à le rétablir en vérité, Ida Mett (1910-1973), qui collabora à Diélo Trouda, journal d’un groupe d’anarchistes russes en exil édité par Nestor Makhno, qu’elle fréquenta dans les années 1920 à Paris, a rédigé en 1948 ses souvenirs précieux sur l’homme se présentant souvent sous une bannière aux allures de pavillon noir ornée d’une tête de mort.
Publié sous la forme d’un petit volume par les éditions Allia, Souvenirs sur Nestor Makhno décrit un insoumis, d’apparence relativement banale au quotidien, mais transfiguré lorsqu’il tenait des discours en public.
« Au cours des petites réunions il ne savait pas s’expliquer, c’est-à-dire, que sa manière solennelle de s’expliquer était ridicule dans une ambiance intime. Mais il suffisait qu’il apparaisse devant un grand auditoire que l’homme devenait un grand orateur, éloquent et sûr de lui-même. »
Porteur d’un feu intérieur ravageur – notamment contre toute forme d’idéologie – cet homme qui se battit avec ses partisans du sud de l’Ukraine contre les troupes tsaristes comme contre celles de l’Armée rouge, fut constamment calomnié (on le traita de pillard et d’antisémite).
Conscient très tôt des humiliations subies par le peuple de la part des possédants, le chef de l’armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, qui compta jusqu’à 50 000 membres, dut s’exiler, et, après avoir été chassé de plusieurs pays européens, trouver refuge à Paris – il avait en outre contracté la tuberculose -, travaillant comme ouvrier chez Renault à Boulogne-Billancourt, son corps, disent les témoignages, étant couvert de cicatrices dues à d’âpres combats, l’une, arrivant jusqu’à sa bouche même, ayant été causée par sa seconde femme durant son sommeil…
Condamné à mort à 17 ans pour avoir commis un attentat contre un fonctionnaire de la police locale, il est incarcéré à la prison de Boutyrki – considérée comme une université révolutionnaire.
« Makho, questionne Ida Mett, était-il un homme honnête, désirant du bien au peuple ou fut-il un élément fortuit tombé par hasard dans la mêlée ? Je pense que sa bienveillance sociale fut sincère et hors de tout doute. »
Plus loin : « En réalité Makhno était un homme vierge ou plutôt pur. Quant à ses rapports aux femmes, j’aurais dit qu’il se combinait en lui une espèce de simplicité paysanne et un respect pour la femme, propres aux milieux révolutionnaires russes du commencement du siècle. »
Comprend-on grâce à ce portrait le tempérament exceptionnel de nombre de combattants ukrainiens actuels, dont le courage force l’admiration ?
Ce n’est pas improbable.
Ida Mett, Souvenirs sur Nestor Makhno, éditions Allia, 2022, 48 pages