©Mickaël Vis
« J’ai croisé plein de personnes qui m’ont raconté ta vie. Mère pour tes fils, fable ou créature fantastique pour d’autres. Les gens prennent du plaisir à raconter le vacarme qui t’entoure en permanence, que tu provoques par tes actions. Tu es insaisissable aux yeux de tous. Sébastien a du mal à parler de toi. Il résume ta vie. Je l’ai déjà entendu dire des phrases comme : « Maman était une droguée et une pute. » C’est un ouragan de violence. Souvent, on sort le soir ensemble. La nuit nous permet de nous retrouver, de libérer nos échanges. La drogue aide aussi. C’est pas un grand bavard quand le soleil brille. Il a passé sa vie à essayer de faire partie de la tienne. Son sang bout en permanence. Tu l’as bien amoché. » (Mickaël Vis)
To dance with the devil aurait peut-être pu s’appeler Under the Volcano si le titre n’était pas préempté par Hollywood, ou Sympathy For the Devil, si les Rolling Stones n’étaient pas parvenus à en faire un succès planétaire.
©Mickaël Vis
Maquetté avec le plus grand soin – choix des papiers, dos carré collé cousu avec jaquette, qualité des noirs intenses -, ce volume composé pour une grande part d’images d’archive et de documents textuels est un hymne très émouvant à une femme libre, la mère du photographe Mickaël Vis à l’initiative de cet opus aussi beau qu’étonnant.
To dance with the devil est un livre brûlant, comme la poésie de nécessité, comme la vie lorsqu’elle n’empreinte pas les chemins convenus.
Apparaît Catherine, femme jeune et riante, drôle au milieu des palmiers lors de vacances aux Antilles.
Nous sommes au mitan des années 1980, le corps est de grande santé, le soleil chauffe les seins nus de la séduction émancipée.
©Mickaël Vis
Un fils tente de comprendre qui était sa mère, l’invente en l’admirant.
Catherine est une jeune fille, une enfant irrésistible, petite sœur intrépide de Françoise Sagan.
Les anniversaires passent, la mort à la peau douce est une eau froide dans une baignoire en faïence.
La mer étale, les ciels troués de lumière, la route apaiseront peut-être la douleur.
Il faut se mettre à nu, regarder la femme que l’on aime sans oublier d’où l’on vient.
Catherine eut deux enfants, Sébastien, de Mohamed le Marocain, et Mickaël, de Georges qui était aussi le père de Catherine, décédée du sida quand son second fils avait neuf ans.
©Mickaël Vis
Oui, vous l’avez compris, mais ne cherchez pas le drame, le pathos à tout prix, les pleurs déchirants : Georges fut le père, mais aussi le grand-père du petit garçon ayant grandi à Grigny (Essonne), repensant ici les traits essentiels de sa vie et de sa généalogie.
Bien entendu, ceci est anormal, délirant, presque trop œdipien pour être vrai, mais c’est aussi, dans la banalité des jours, un fait brut à prendre comme un autre, sans forcément lui demander d’être une cause absolue.
To dance with the devil fascine comme une énigme dont nul ne possède les clés.
C’est un livre qu’il faut prendre d’un bloc, comme la révolution selon Clémenceau.
Le fils a retrouvé des lettres, un avis d’imposition, une ordonnance pour un test VIH, une carte postale de New York, et sa mère est là, dans l’absence.
Georges et Catherine se sont aimés.
On pourra trouver cela scandaleux, la vérité dépasse quelquefois/souvent la mesure de la bienséance.
©Mickaël Vis
« Georges, écrit Mickaël, est un drôle de personnage. Il fait partie de cette génération d’hommes qui veulent juste exister. Je ne sais pas grand-chose de son enfance. Famille violente du Nord, puis vint la guerre. Il veut se construire après ça. Il épouse ma grand-mère, puis file en prison pour braquage. Ils divorcent. Il fait sa vie ensuite, rencontre ma mère et me voilà. Avant nous, plusieurs femmes et plusieurs enfants. Géraldine, sa fille, assassinée par son conjoint, lié au trafic de drogue. Ludovic, son fils, qui a fait plusieurs séjours en prison. On a presque le même âge. Puis, cette histoire avec ma mère, aussi absurde soit-elle. »
Mickaël Vis est un miraculé.
Parle encore en lui l’enfant qu’il était.
Son livre est une longue lettre bourrée de photographies adressée à une mère trop peu connue.
On le reprend, on le médite, il est bouleversant.
En postface, Rémi Coignet écrit avec justesse : « Tout dans la conduite de Catherine comme dans celle de Georges témoigne d’un hédonisme réfuté par 2000 ans de christianisme, mais promu comme moteur de la société de consommation, stade terminal d’un capitalisme actionné par des « machines désirantes ». Le principe de plaisir, théorisé par Freud, permet d’aiguillonner la liberté et qu’importe le principe de réalité. La facture à payer viendra plus tard. Lorsque la malade sera là, lorsque l’enfant paraîtra… Et chacun, seul toujours, devra, au prix de quelques loopings au besoin, s’arranger avec la morale. »
Le mot loopings convient bien, pour Mickaël Vis, comme pour son éditrice courageuse, Samantha Millar Hoppe.
Mickael Vis, To dance with the devil, texte Rémi Coignet, conception graphique BIZZARRI-RODRIGUEZ, éditions Rue du Bouquet, 2022, 272 pages – 500 exemplaires
Se procurer To dance with the devil
Lancement du livre chez Yvon Lambert (Paris) le 31 mai 2022 à partir de 19h
Qu’est-ce qui est normal en ce monde ?
Ou moralement acceptable ?
La morale ou la normalité de ceux qui pensent être dans le cadre (du moment) ?
Ou la folie de ceux qui vivent leur vie, avec ses difficultés, ses bonheurs et autres choses qui font et composent une vie humaine…
Miss G
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