
©Bernard Cornu
« Je n’ai jamais cessé de pratiquer l’argentique, car il permet un rapport au temps qui est central dans mon approche photographique. Je fais partie de ces photographes qui essaient d’atteindre cette impossible quête du Graal, à savoir arrêter le temps… » (Bernard Cornu)
Malgré mon admiration pour Philippe Sollers, je ne connais pas l’île de Ré.
Je ne souhaite pas particulièrement m’y rendre, sûrement de crainte – idiote, jugerez-vous – d’être déçu.

©Bernard Cornu
La parcourir en images ma va, surtout lorsqu’il s’agit de celles de Bernard Cornu, dont les nuances de gris témoignent d’une finesse de perception éloignée de toute grandiloquence.
Il ne faut pas aller partout, salir partout, même avec les meilleures intentions du monde.
D’autres que nous font le voyage, c’est parfait, laissons-les nous offrir leur désir.
Fruit d’un travail mené pendant trente-cinq ans, composé de soixante-dix photographies en noir et blanc, Ré, Une île plus loin que le vent est un hymne doux et volontiers atemporel à cet espace relié désormais par un pont au continent, au littoral, aux paysages intérieurs, ainsi qu’aux habitants qui le peuplent et y exercent leur métier, perpétuant quelquefois des gestes et pratiques anciennes : pêche à pied, cultures des pommes de terre et de la vigne, activités de sauniers.

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Publié en format italien, cet ouvrage s’éloignant des stéréotypes attachés au territoire rhétais se doit d’être découvert lentement, comme on boit un verre de bon vin blanc local – du chardonnay.
Prendre le temps donc, à l’instar du photographe attentif à ses émotions.
Le voici à Ars.
Son ami, l’écrivain Daniel Bernard, écrit alors : « Ars la belliqueuse, Saint-Clément le virulent / un bel endroit pour devenir assassin. // Ce n’est pas que le marais soit sauvage ou cruel / mais sa platitude funeste incite à la prudence. // Le marais a l’humilité de la ligne droite, / la pauvreté aussi. // Rien n’est plus humble et plus pauvre / que l’effacement de ce plat pays. // Le vol d’un papillon autour d’une herbe folle / éclaire la journée tout entière et tout est dit. // Le vent qui souffle ici égrène les mots / et ensemence les marais. // Les mots reviennent aux choses qui les ont faits : / aux buissons, aux herbes, aux arbres. // Quand la nuit pudiquement efface le contour / des buissons, des herbes et des arbres : / restent les mots qui les ont dites. »

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On devine des secrets, des chemins pour initiés, une manière de faire dialoguer, du bout de sa boguette en bois, lorsque l’on est paludier, la terre, la mer et le ciel.
Dieu est un âne, diable, qu’il est beau, s’avançant nu, pelé, sous le porche d’une église effondrée.
Une poule traverse tranquillement une route embrumée, c’est un hommage à l’humanité du grand Boubat.
Et Daniel Bernard d’écrire, cheminant le long des remparts de Saint-Martin : « C’est ici que tout bascule dans l’ivresse immense du soleil et la débauche de clarté qui ruisselle dans la mer. Le regard se prend les cils dans un tapis de lumière. L’océan semble muet, colossal, et l’ourlet blanc des vagues paraît se figer sur un large liseré turquoise. Brûlant comme une blessure, le vent souffle par rafales et nous parvient de temps à autre, dissonant comme une voix off, grave et profonde, enfouie pour l’éternité sous ce vaisseau de pierres. »

Bernard Cornu, Ré, Une île plus loin que le vent, textes Daniel Bernard, Editions Sud Ouest, 2022, 92 pages

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http://www.editions-sudouest.com/categorie/tourisme-patrimoine/
Paraît conjointement le bel ouvrage, Des baies ouvertes sur le monde, consacré aux baies d’Audierne, de Douarnenez, de Saint-Brieuc, de Saint-Malo et du Mont Saint-Michel, livre accompagné de proses poétiques composées par Jean Azarel.
Ciels et grèves dialoguent dans une impression de monde premier.
Des chapelles dans la lande, des pêcheurs à quai, un calvaire.
La mer déborde, on est bien dans la maison familiale de Pors-Théolen transformée en café du bout du monde.
« Chaque baie est une initiation. / Chaque baie nous délivre du mal. »

Bernard Cornu, Des baies ouvertes sur le monde, texte Jean Azarel, Un autre regard Editions, 2022, 136 pages
https://www.unautrereg-art.com/

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