
« J’adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût beaucoup plus existant que le prétendu bon goût qui n’est qu’une normalisation du regard. » (Helmut Newton à Bernard Lamarche-Vadel)
En 1981, alors que François Mitterrand vient d’accéder au pouvoir, Helmut Newton décide de s’installer à Monaco, où il résidera jusqu’à la fin de sa vie en 2004.
Loin d’être une retraite, ces années monégasques seront marquées par un feu de création continu porteur d’une grande liberté.
Tout en continuant sous un cadre solaire son travail de star de la mode, il y réalise de nombreux portraits, photographiant des stars de passage dans la principauté ou y vivant à demeure – Monica Bellucci, Brigitte Nielsen, Paloma Picasso, Anthony Burgess, Carla Bruni, Larry Clark, David Bowie, Ralph Gibson, Isabelle Huppert, Maurizio Cattelan, Charlotte Rampling… -, mais aussi des membres de la famille princière, notamment Caroline dont il est proche.

« Il utilise d’abord Monaco, souligne Matthias Harder, comme plateau pour des shootings et il effectue, pour divers clients, des prises de vue chez lui – sur le balcon ou dans le garage de son immeuble – sur les nombreux chantiers de la ville, sur des yachts, dans et autour du casino, ou au Monte-Carlo Beach Club. »
C’est à partir de son arrivée à Monaco que Newton, précise Björn Dahlström, directeur du Nouveau Musée National de Monaco (NMNM), a développé sa maniera : plasticité du cliché, luxe ostentatoire, corps sculpturaux, érotisme fétichiste, artificialité, froideur, rapport exhibitionnisme/voyeurisme, sentiment d’inquiétante étrangeté allant quelquefois jusqu’à la mise en scène de meurtres.
Il y a chez Newton, dans le hiératisme récurrent de ses figures, comme une impression de Jugement dernier – et comme si nous étions plus proches de la damnation que du salut.
Un portrait du maître effectué par Alice Springs, Helmut in pumps, réalisé à Monaco en 1987, le montre portant des talons hauts et croisant les jambes à la façon d’une girl de cabaret.
Nul doute, nous sommes avec un génie du travestissement et du jeu avec les apparences, un ironiste racé doublé d’un admirateur des puissants de ce monde, qu’ils soient aristocrates, capitaines d’industrie ou gens de cinéma.

Guillaume de Sardes, qui a conçu avec Matthias Harder, directeur de la Helmut Newton Foundation, l’exposition visible actuellement au NMNM, signe dans le catalogue (Gallimard) un texte ample soulignant qu’à Monaco Newton le Berlinois, très influencé par l’univers esthétique d’Erich von Stroheim (voir Foolish Wives), mais aussi les films de Fritz Lang et Alfred Hitchcock, s’essaiera à la photographie de paysage, chaque vue étant marquée par une sensation de théâtralité.
Imposant un style immédiatement caractéristique, qu’il travaille pour Versace ou bon nombre d’autres marques de luxe, l’admirateur de Brassaï continue à sa façon, comme l’a si bien souligné le critique et écrivain Bernard Lamarche-Vadel, l’histoire de la statuaire.

Helmut Newton, Legs coming home, Monte-Carlo, 1987, Tirage jet d’encre / Fine Art Inkjet Print, Collection Helmut Newton Foundation, Berlin © Helmut Newton Foundation
« Pour Newton, précise Guillaume de Sardes, la photographie ne sert pas à authentifier le réel, mais à brouiller les valeurs du vrai et du faux, de la réalité et de l’illusion. Or n’est-ce pas exactement le but que se sont donné les surréalistes ? (…) Ces motifs caractéristiques du mouvement créé par Breton et ses proches sont la nuit, le miroir, l’œil, le mannequin et le sado-masochisme. »
Cette présence des topiques surréalistes dans l’œuvre du photographe paraît particulièrement pertinente, notamment si l’on songe aux photographies relevant du genre BDSM de Man Ray (avec Lee Miller puis Meret Oppenheim) et Hans Bellmer (avec Unica Zürn).
Helmut Newton, analyse Guillaume de Sardes, est de la famille des Rainer Werner Fassbinder, Pier Paolo Pasolini et Nagisa Oshima, partageant une même vision du monde « qu’en définitive il ne fixe qu’avec un peu plus de glamour ».
Les femmes de Newton sont fortes, guerrières, à la sexualité affirmée.
Ce sont des nageuses passionnées, des ondines farouches au corps irrésistible.
Des créatures venues d’un autre monde.
Des déités scandaleuses dont le bonheur est d’être nues, provocatrices, luxurieuses.
Beauté de son épouse June tenant en 1976 un frêle saule pleureur une nuit de grand vent à Ramatuelle.

Newton a choqué, choque, choquera, d’autant plus que l’époque est au conformisme moral armé de censure.
« En un sens, écrit Jean-Luc Monterosso, avec plus de trente ans d’avance, ses images annonçaient une ère nouvelle : celle où la femme pouvait afficher sans complexe, à l’égal des hommes, sa sexualité et ses phantasmes. »
Newton, Riviera peut ainsi être considéré comme un geste politique.

Newton, Riviera, sous la direction de Guillaume de Sardes et Matthias Harder, auteurs Ivan Barlafane, Alain Fleischer, Matthias Harder, Simone Klein, Charles de Meaux, Catherine Millet, Jean-Luc Monterosso, Guillaume de Sardes, Gallimard, 2022, 304 pages
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Livres-d-Art/Newton-Riviera
Catalogue de l’exposition éponyme au Nouveau Musée National de Monaco (NMNM), du 17 juin au 13 novembre 2022

https://www.leslibraires.fr/livre/20501392-newton-riviera-collectifs-gallimard?affiliate=intervalle