
©Ambre Husson
J’aime beaucoup le titre La nuit, tu mens, qui évoque tant de dérives, tant de stratagèmes pour ne pas affronter la solitude, tant d’amours d’un soir pour tenter de tromper la mort.
On pense bien entendu à la chanson d’Alain Bashung (passage du « je » au « tu ») et à sa présence bouleversante sur scène lors de ses derniers concerts lorsqu’il l’interprétait.
Premier livre de la jeune photographe Ambre Husson, publié par les éditions bruxelloises La CAB (troisième ouvrage), La nuit, tu mens est un opus très soigné : couverture en papier bleu nuit, reliure Singer, format ample, majesté des images frôlant l’abstraction.

©Ambre Husson
« Le 22 février 2018, déclare-t-elle, mon père m’écrit une lettre. Elle devient le point de ma série « La nuit, tu mens ». J’ai 19 ans et je décide de lui répondre. A la même période, j’emménage à Bruxelles, je rentre dans une nouvelle école. Depuis ce jour, en transportant ma chambre photographique et mes décors, j’avance en construisant chaque image. Elles sont toutes pensées sous forme de petits schémas. Puis, vient la fabrication de chaque élément qui la compose, la prise de vue n’est qu’une finalité. C’est à travers cette réponse à mon père que ma pratique de la photographie commence réellement. »
Qu’a donc répondu à son père l’artiste aimant la mise en scène, les jeux de l’esprit et la fabrication de structures conçues comme l’expression d’une cosa mentale à fois précaire et très élaborée ?

©Ambre Husson
Je regarde ses images très composées, je devine, j’extrapole.
J’invente.
« Vous les pères, vous le savez bien, depuis toujours nous apprécions ce que vous appelez des activités de garçon, grimper aux arbres, manier des outils, édifier des cabanes.
Nous vous envoyons ces photos parce que nous ne parvenons pas à vous écrire tout ce que nous ressentons.
Depuis longtemps, il y a quelque chose de déchiré entre nous, c’est comme si les couteaux étaient sans cesse tirés et qu’on marchait en permanence sur des charbons ardents.
Il faudrait être fakir, mais ni vous, ni nous, n’avons assez médité, n’est-ce pas ?

©Ambre Husson
Pour le moment, nous expulons notre rage en attaquant à la pique la roche du sous-sol de nos maisons de campagne. Avec un peu de chance, nous réveillerons les morts, ou les souvenirs qui y sont enfouis.
Il y a quand même dans ces caves de drôles de choses : un cercle magique dessiné sur une surface en chanvre, des tulipes surmontées de crêtes de papier menaçantes.
Nous avons l’impression de porter le fardeau des familles, nous essayons de nous alléger mais nous pesons des tonnes.
Si nous fermons les yeux, un cri sortira peut-être de la cage qui emprisonne notre poitrine.
Pères éternels, ne nous en voulez pas, nous allons traverser le miroir.
Bientôt, vous ne nous reconnaîtrez plus tout à fait, nous aurons vaincu les monstres.

©Ambre Husson
Nous sommes seules, nous l’acceptons, et nous pouvons enfin vous retrouver sans colère.
Nous attendons vos réponses.
Des femmes délivrées. »

Ambre Husson, La nuit, tu mens, Editions La CAB (Bruxelles), 2022 – 400 exemplaires numérotés
https://www.boutographies.com/exposition/la-nuit-tu-mens

©Ambre Husson