L’alchimie du cuivre, par Roland Sénéca, graveur

©Roland Sénéca

« J’ai vu en 1966, chez Pierre Bassard, un ami peintre et graveur, un cuivre vierge et une planche gravée qui se présentaient comme un petit bas-relief. Je ne connaissais rien à la gravure. Ces deux objets m’ont réellement fasciné, comme s’ils avaient un pouvoir sur moi ; et puis j’ai oublié. C’est bien plus tard que j’ai su que le point de départ était là. » (Roland Sénéca)

Nous ne voyons rien, nous sommes désespérément plats, et même écœurants de platitude, de banalité, de manque d’esprit.

©Roland Sénéca

Le chemin n’est pas nouveau, il nous faut trouver l’or dans la boue, et, plus intimement encore, comprendre que la boue est de l’or.

Roland Sénéca n’a pas la reconnaissance nationale et internationale qu’il mérite, mais ses partisans sont fervents.

On sait parfois que le sens le plus fort et le plus mystérieux passe dans les grottes, les cavités secrètes, les gestes accomplis loin de toute publicité.

©Roland Sénéca

Savez-vous ce que dit Roland Sénéca aux étrangers égarés sur la grève, ou allongés sur un banc du port de Tréboul (Douarnenez, Finistère) où il réside, lorsqu’il se promène à l’aube après une nuit de travail ?

« Chers amis, en avez-vous conscience ? La porte est à l’intérieur de vous. »

Son grand œuvre est pictural – de nombreux catalogues et livres -, dessiné, mais aussi gravé.

L’artiste possède son métier comme personne, ce que prouve s’il le fallait le catalogue raisonné de ses gravures (1970-1998) publié, à l’initiative de Didier Mazuru, par les Editions Folle Avoine sous le titre Le pouvoir du cuivre.

©Roland Sénéca

« Il ne s’agit pas, précise en préface cet amateur éclairé, de mettre en valeur un choix de gravures en particulier, mais bien de présenter le déroulement du travail d’un créateur, lequel nous fait voyager d’œuvre en œuvre. »

Les gravures sur cuivre de l’alchimiste sont d’abord (techniques de l’eau-forte et la pointe sèche) des visages, des inquiétudes, des effarements de traits grotesques.

Des avortons, des puissances, des Golems.

Des corps dans les corps.

Tout un peuple intérieur, des prélats, des dictateurs – de la caste de Père Ubu et des séides des autocrates d’Enrico Baj-, des saints.

Et l’homme quelconque, tellement plus intéressant que les titres.

Bientôt les membres prennent leur indépendance, homo sapiens demens ne se la raconte plus, il se disloque.

Et se sexualise, à fond.

Vous pouvez toujours essayer de circonscrire la chose, de l’enfermer dans vos catégories, ça échappe.

Ça renifle à plein tube l’être (bonjour Merleau-Ponty/Heidegger), ça se donne comme cible à la moquerie universelle, ça relève plus du batracien mystique que de la grenouille de bénitier.

On n’a jamais vu autant d’irrévérence en Bretagne, mais qui est ce fou ?

L’animal reste calme, pendant que l’écrivain Claude Louis-Combet, qui le connaît bien, écrit : « Entre tous les artistes, il semble que le graveur soit celui qui incarne, au plus haut point, le génie de la blessure. Il est le familier de la pointe, de la lame, de l’acide – de ce qui creuse pour tracer, de ce qui brûle pour inscrire. Il se livre, sur la plaque de cuivre, à des opérations délicates, patientes et raffinées, d’un sadisme subtil, ne délimitant des aires que pour les mieux attaquer, ne définissant des formes que pour les entailler et les taillader. »

©Roland Sénéca

On peut appeler cet art avec Octave Mirbeau le jardin des supplices.

Forcément, ça incise, ça soulève, ça joue du bistouri.  

Ça vire, ça écarte les cuisses, mieux encore ça se fait seppuku en pleine réunion de famille.

Ce qu’on voit là n’a jamais été vu, comme si soudain l’inconscient avait été surpris en plein travail machinique.

Parce que, ne vous y trompez pas, ce que vous prenez pour votre apparence, ou votre identité, n’est que l’envers de votre véritable visage.

Il faudra gratter un peu, et même beaucoup, pour en connaître quelque peu la substance à la fois molle et définitive, strictement organisée et totalement débondée.

De la violence, oui bien sûr.

De l’humour, oui beaucoup, mais sans préméditation, comme une évidence d’un rire sous la peau.

On le sait bien, Dieu est un danseur, et ses enfants de chœur de drôles de zèbres.

On s’abouche, on s’accouche, on s’entredévore.

Henri Michaux aurait apprécié ces visions nourries des estampes japonaises les plus étranges, et de toute l’histoire de l’art, de Lascaux à Odilon Redon, et, si l’on pousse un peu, jusqu’à Jean Dubuffet.

Par ses cuivres, Roland Sénéca réalise la grande dépense bataillienne, l’absolu de l’économie qui est, Yannick Haenel ne me démentira pas, la dilapidation générale des forces et des désirs dans une sorte d’orgie sacrée opérant l’union sans retenue des principes masculin et féminin.

J’étais invité il y a quelques semaines chez l’ami de Georges Perros.

Daurade royale, légumes de saison, vin d’Arbois (j’ai emporté ensuite la bouteille).

« Tenez, cher Fabien, vous avez vu cet os de baleine ?

– Oui, Roland, je le vois, posé sur le buffet là-bas, près de la bibliothèque, je l’avais pris pour l’une de vos sculptures.

– La gémellité est certes troublantre, mais l’art n’a jamais fait qu’imiter la nature, n’est-ce pas ? »

Roland Sénéca, Le pouvoir du cuivre, gravures 1970-1998, conception éditoriale Didier Mazuru, graphisme et mise en page Véfa Lucas, Editions Folle Avoine, 2022 – 300 exemplaires

https://www.rolandseneca.com/

https://www.editionsfolleavoine.com/

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Vève dit :

    Extraordinaire Roland Sénéca. Merci!

    J’aime

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