La naissance d’un professeur, par Pierre de Vallombreuse, photographe

©Pierre de Vallombreuse

« Jason limitait les dégâts au prix d’efforts épuisants. Je le croisais, liquéfié : traits tirés, gestes nerveux, cheveux en bataille, yeux enfoncés. Il luttait pour rester inébranlable face aux assauts de la classe qui, l’ayant pris en grippe, multipliait les piques pour le faire choir de son piédestal. Quel autre choix avait-il ? Aucun. Tenir, juste tenir. Se faire citadelle. Rester debout dans l’arène. »

Sous-titré « Une école à Portland en lutte contre la ségrégation », Une classe américaine, de Pierre de Vallombreuse, est un reportage photographique sur la naissance d’un professeur au contact d’élèves très différents de lui par leurs codes socioculturels.

©Pierre de Vallombreuse

Associé à son travail au long cours mené aux côtés du peuple Palawan aux Philippines, Pierre de Vallombreuse étonne par cette série très belle sur un milieu dont on n’imaginait pas a priori qu’il pouvait le regarder avec autant d’acuité et d’empathie.

Et pourtant, il s’agit bien également d’un huis clos et d’un groupe ethnologique précisément déterminé, des enfants issus de minorité dans une des villes les plus blanches de la côte ouest américaine, Portland.   

©Pierre de Vallombreuse

L’enseignant qu’a rencontré le photographe a une quarantaine d’années, il est motivé, inventif, mais se heurte à l’incompréhension de ses jeunes élèves qu’il brusque souvent par ses maladresses.

Il est intimement réconfortant d’observer que malgré les difficultés celui-ci ne renoncera pas, gagnant peu à peu la confiance de ses deux classes de fin de primaire.

Edité par Patrick de Saint-Exupéry aux Arènes, cet ouvrage très bien maquetté est une bonne nouvelle pour tous ceux qui pensent encore que le métier d’enseignant est essentiel, et que la transmission d’un savoir comme d’une humanité sont parmi les missions les plus nobles qui soient.

©Pierre de Vallombreuse

Entre l’homme du Midwest rural et les enfants turbulents/ostracisés de la ville, la relation fut loin d’être évidente, et l’on peut souffrir beaucoup de ne pas parvenir à exercer sa profession comme on le souhaiterait alors que la vocation est là.

Etre seul face à des élèves, dans un contexte public de plus en plus dégradé, est un engagement politique, mais aussi un défi intime au nom de la démocratie et du respect de l’altérité que Jason Davis, protagoniste de ce récit suivi pendant deux ans, aura su relever dans l’endurance de sa présence au quotidien dans un contexte ayant été souvent hostile.

« Sur mes premières images, confie le photographe, celles de ses débuts à Kairos [nom de l’école], Jason a l’allure d’un mousse vieilli avant l’heure : un épais collier de barbe poivre et sel, des tatouages sur les bras, un bonnet marin, des chemises rugueuses, une timidité dans le regard tranchant, avec un physique massif, trapu. Encore aujourd’hui, je me souviens de ses premiers pas hésitants face à la classe. Une autorité mal assurée, une difficulté à se placer. Une mère de famille me dira plus tard que, dès les premières semaines, il se produisit un choc culturel : les enfants et leur prof ne parlaient pas la même langue. »    

©Pierre de Vallombreuse

Photographier une école est une gageure, il y a plus séduisant, et pourtant.

Il y a dans le regard de Pierre de Vallombreuse une grande douceur et une frontalité n’excluant jamais l’égalité principielle et la confiance mutuelle.

Jason est épuisé, ses élèves le testent, il est au bord de la crise de nerfs, il cherche, essaie des méthodes – ponctuant les images, ses paroles sont reproduites -, doute, se désespère, cherche des appuis.

Zahir, dont l’indiscipline et l’intelligence sont évidentes, devient peu à peu son aide de camp, qui déclare bientôt : « Hé, les gars, au début on a eu des problèmes avec Mr Davis. Ça a été difficile pour moi, mais il a fait de son mieux, il a beaucoup travaillé. Hé, écoutez-moi tous ! Mr Davis veut le meilleur pour nous, et il a fait tout son possible pour nous transmettre le meilleur. Il nous aime. C’est le meilleur prof que j’ai eu, nous devons le respecter et l’écouter. »  

©Pierre de Vallombreuse

Voilà, c’est gagné, mais quel combat de fond, presque spirituel.

Une classe américaine est un livre profondément émouvant, et multiple dans la richesse de ce qu’il permet de penser.

L’Education Nationale française serait d’ailleurs bien inspirée de l’offrir et de le mettre en débat dans ses instituts de formation.

Sur le fronton de Kairos, on peut lire cette phrase de Gabriela Mistral, enseignante chilienne, poétesse et Prix Nobel de littérature en 1945 : « L’essentiel de nos besoins peut attendre. L’enfant, lui, ne peut pas. Ses os se forment, son sang bouillonne, ses sens se développent. Nous ne pouvons pas lui dire ‘Demain’. Son nom est ‘Aujourd’hui’. »

Bonne rentrée.

Pierre de Vallombreuse, Une classe américaine, édition Patrick de Saint-Exupéry, couverture et conception graphique Pierre de Vallombreuse et Eric Pillault, Les Arènes Reporters, 2022

https://arenes.fr/livre/grands-reporters-3/

©Pierre de Vallombreuse

http://www.pierredevallombreuse.com/

©Pierre de Vallombreuse

https://kairospdx.org/

https://www.leslibraires.fr/livre/20200452-une-classe-americaine-pierre-de-vallombreuse-les-arenes?affiliate=intervalle 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s