
Airborne, 2013 © Roger Ballen
« Quelle terrible réalité les oiseaux voient-ils du haut du ciel ? » (Roger Ballen)
Treizième volume aux éditions Atelier EXB de la collection « Des oiseaux », créée par Xavier Barral, l’ouvrage de Roger Ballen est le plus surréalisant et fantastique de tous.
Mettant en scène ses visions d’une imagination terrible, l’artiste vivant et travaillant à Johannesburg a choisi le noir et blanc pour intensifier l’onirisme de ses tableaux drôles, absurdes et macabres.
Un psychodrame se joue qu’il faut recevoir avec instinct, sans immédiatement le recouvrir de glose, de savoir ou de regard critique.
L’esprit d’enfance est convoqué, mais aussi tout ce que l’inconscient contient de bizarrerie et de trouble.
La logique est celle d’une psyché débondée, loin des entraves de la raison raisonnante, ou, pire encore, raisonneuse.

Atlas, 2012 © Roger Ballen
André Breton aurait sans nul doute affiché sur son mur enchanté de la rue Fontaine (numéro 42) de telles images où la fantaisie côtoie la solennité d’un sacrifice joué.
Adepte de l’hybridation des techniques (photographies, dessins, sculptures, peintures, objets trouvés, mannequins), à l’instar de son compatriote William Kentridge, Roger Ballen, qui représente en 2022 l’Afrique du Sud à la Biennale de Venise, possède une inventivité considérable pouvant faire songer quelquefois à celle de Cocteau, mais en plus fou et peut-être plus cruel encore.
Dans son dispositif créatif et ses théâtres clos, les oiseaux jouent un rôle majeur, qu’ils soient aigle, pigeons, colombe, corneille ou tourterelles.
Ce sont des fétiches, des êtres de bois ou de plâtre, des entités issues du cabinet précieux d’un taxidermiste extravagant.
L’auteur de Asylum of Birds (2014) associe, agence, monte, assemble les pièces d’un désir aussi mystérieux pour le regard que fascinant.
Il y a des graffitis comme chez Brassaï, des statues acéphales, des poupées loufoques et des animaux sauvages.

Crash, 2018 © Roger Ballen
L’oiseau dans ce chaosmos très personnel représente la possibilité d’un envol, d’une échappée, mais également d’un langage indéchiffrable, d’une menace, voire d’un cauchemar.
L’œil des volatiles est une espièglerie doublée d’un point de vue pénétrant.
On est dérouté, amusé, effrayé.
Sur les parois d’une prison mentale s’inventent des dessins, des grimaces, tout un archaïque de pulsions libérées.
Les oiseaux eux-mêmes semblent parfois pris de vertige dans une telle fantasmagorie.
Roger Ballen joue, se déterritorialise, et s’offre des scènes cathartiques pour temps apocalyptiques.
Et s’il y a une minutie très calculée dans les compositions, sourd surtout de ce volume superbe comme un conte noir anglais un esprit de liberté, d’innocence et d’épouvante jouée qui ravit.

Debate, 2020 © Roger Ballen
« En quarante ans, on estime que les effectifs de vertébrés sauvages ont chuté de 60 %, précise en postface l’ornithologue Guilhem Lesaffre, ce qui conduit de plus en plus de scientifiques, comme Bruno David, directeur du Muséum national d’histoire naturelle à Paris, à redouter que nous ne soyons parvenus à la veille d’une sixième extinction de masse. En Amérique du Nord, pas moins de trois milliards d’oiseaux manquent à l’appel depuis 1970. Cela signifie qu’en cinquante ans, un oiseau sur quatre a disparu en Amérique du Nord. En Europe, ce sont quatre cent vingt millions d’oiseaux qui ont disparu en une trentaine d’années, pour un effectif total de deux milliards. »
N’y aura-t-il bientôt plus que l’art et nos pauvres souvenirs pour nous rappeler qu’un jour nous cohabitions pleinement avec le vivant ?
Homo sapiens ? Exit.

Roger Ballen, Des Oiseaux, texte Guilhem Lesaffre, direction Philippe Séclier et Nathalie Chapuis, Atelier EXB, 2022, 104 pages
https://exb.fr/fr/home/538-des-oiseaux-roger-ballen.html
Exposition Des Oiseaux au Hangar (Bruxelles), du 9 septembre au 17 décembre 2022