Ukraine (4), par Guillaume Herbaut, photographe

Kotovsk,19décembre2013,14h39. La statue de Lénine dans le parc des Cheminots, détruite dans la nuit du 8 au 9 décembre © Guillaume Herbaut/ Éditions Textuel

Ukraine, Terre désirée, que publient les éditions Textuel, propose en 140 images le travail essentiel que Guillaume Herbaut, lauréat du prix World Press Photo 2022, a effectué en vingt ans en Ukraine, depuis la Révolution orange (fin 2004, contre des élections perçues comme truquées) et Euromaïdan (manifestations proeuropéennes fin novembre 2013), en passant par l’annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass (depuis 2014), jusqu’à la guerre actuelle.  

Ayant tissé des relations avec nombre d’habitants, le photoreporter traduit avec sensibilité et puissance la résistance d’un peuple se battant pour sa liberté, donnant aussi à voir les visages des différents belligérants.

Ukraine, Terre désirée est un livre d’histoire contemporaine passionnant, ouvrage de douleur et de folie meurtrière aux abords de l’inimaginable découpé en quatre partie : de 2001 à 2012 / 2013-2014 / 2014-2015 (guerre dans le Donbass, et actions des bataillons nationalistes ukrainiens d’extrême-droite Aïdar et Azov) / 2016-2022 (« guerre de basse intensité, analyse l’historienne Galia Ackerman, sur la ligne de démarcation entre les deux républiques autoproclamées du Donbass et le reste du territoire ukrainien de la région »).

Rue Krechtchatyk, Kyïv, 9 décembre 2013, 9 h 29. Des Cosaques montent la garde à l’entrée de la place Maïdan pourprotéger les manifestants pro-européens qui l’occupent © Guillaume Herbaut/ Éditions Textuel

Guillaume Herbaut ne simplifie pas, mais expose la complexité d’une situation où les statues de Lénine et les drapeaux russes peuvent être honnis comme désirés.    

Le photographe montre les tranchées, des vétérans ou civils grièvement blessés « abandonnés à leur sort » et donne à lire des pages de son journal tenu entre 2013 et 2022.

« Depuis des années, poursuit en préface Galia Ackerman, une grande guerre était dans l’air. N’ayant pu réaliser, en 2014-2015, son projet de « Nouvelle Russie » qui aurait inclus tout ce qui se trouve entre la rive gauche du Dnipro et la frontière russe, Poutine a décidé de conquérir désormais toute l’Ukraine car il ne reconnaît ni cet Etat souverain, ni l’identité nationale de son peuple, ni la langue ukrainienne qui, pour lui, n’est qu’un dialecte du russe. Et surtout, il ne reconnaît qu’une seule mémoire, celle qui glorifie le passé soviétique avec la grande victoire dans le Seconde Guerre mondiale, et considère qu’il s’agit de « libérer » l’Ukraine de ses « nazis », en répétant l’exploit de l’armée soviétique. »

Les photographies de Guillaume Herbaut sont d’autant plus saisissantes qu’elles ne sont pas qu’informationnelles, mais témoignent d’un souffle et de drames historiques s’incarnant dans des symboles, des visages et des corps préservant leur part d’opacité.

Le peuple est là, sur la plage d’Odessa, en maillot de bain (juillet 2004) et attitudes sensuelles.

Odessa, juillet 2004. La plage d’Arcadia © Guillaume Herbaut/ Éditions Textuel

On ne sait pas ce que pense la police, utilisée par tel ou tel éminence politique, mais elle est toujours aux ordres, pour ou contre, contre ou pour.

Les drapeaux se lèvent, la foule à Kyiv soutient Viktor Iouchtchenko, réclame justice.

Il y a une atmosphère de film fantastique, du côté des mines de charbon du Donbass et des centrales énergétiques.

Les registres utilisés par Guillaume Herbaut sont d’ailleurs très variés, de l’élégie (des soldats dans un parc) à l’introspection (la première ministre Ioulia Timochenko pensive dans son bureau, près du président non moins perplexe), de l’humour pince-sans-rire (de jeunes Cosaques dans leur école militaire) à la banalité glacée (la zone interdite de Tchernobyl).

Des enfants d’une école, masqués, faisant un exercice d’évacuation en cas d’accident nucléaire, et attendant dans un abri antiatomique, anticipent les temps à venir, advenus.  

Des portraits de dignitaires, des séances d’entraînement au tir, des scènes de fêtes traditionnelles, des jeunes filles rêvant de recréer des tribus d’Amazones.

Guillaume Herbaut parvient à rendre compte avec force d’un pays sous tension, à différents moments de son histoire récente, d’une agressivité latente ou exprimée, de la solennité de personnages s’identifiant à leurs rôles sociaux (dans tel ou tel camp, de telle ou telle obédience), d’une rencontre parfois drôle entre le collectif et l’individu (une cheftaine sexy en talons montée sur la table de son parti politique).

Les fondatrices des Femen sont là, les femmes ukrainiennes sont des guerrières à la beauté sauvage, ou sophistiquée.

Les forces antiémeutes sont déployées (janvier 2014), on se bat à Maïdan pour le destin européen d’un pays cherchant à se soustraire à vive allure de la férule russe.

Avdiïvka, Donbass, 22 janvier 2022, 12 h 59. Un soldat ukrainien lavant son linge sur une position militaire en première ligne, dans l’ancienne base militaire aérienne Zenit © Guillaume Herbaut/ Éditions Textuel

On s’arme, on serre les dents et les poings, c’est la guerre dans le Donbass.

Treillis militaires, cagoules, fusils.

Barricades, barrages, pneus en feu.

Tenues de camouflages, cadavres, pluie.

Destructions, sabotages, blessures physiques.

La guerre s’enlise (2016-2022), l’existence même du peuple ukrainien est niée par le despote russe.  

Les enfants s’entraînent à combattre dans des camps de vacances, il y a des tanks sur la ligne de front verglacée.

La réalité de la guerre n’est autre que la laideur, la peur, l’épuisement.

Enlèvements, tortures, mort.

Guillaume Herbaut écrit le 19 mai 2022 dans son journal, alors qu’il est à Boutcha : « Rue Ivana-Franka. Il y a un peu plus d’un mois, les Russes occupaient la ville. La rue était jonchée de cadavres. Mains attachées. Balles dans la tête. Aujourd’hui, on ne voit rien. Il y a des maisons détruites, des gens qui nettoient, qui reconstruisent les murs des jardins. Une femme ratisse son potager autour des restes d’une voiture écrasée par un char. Sans qu’on lui demande, elle nous dit : « Ici il y a eu six morts. Mon fils et mon beau-fils. Il y avait aussi un homme qui cherchait juste de la nourriture pour son lapin. Les Russes les ont tués dans la cour. Dans la maison voisine, il y avait nos cousins. Ils ont été torturés puis brûlés. » Sa fille, Iryna Gavrylyk, arrive. Elle nous montre les photos des corps sur son téléphone. Celle de son mari, l’œil arraché. Elle pleure. Elle part. Le cadavre de son mari dans la main. »

Silence.

Guillaume Herbaut, Ukraine, Terre désirée, préface de Galia Ackerman, coordination éditoriale Julia Chiron, design graphique Agnès Dahan Studio, photogravure Caroline Lano, Editions Textuel, 2022, 216 pages – livre publié avec le soutien de la Fondation Antoine de Galbert et d’Amnesty International

http://www.guillaume-herbaut.com/en/

https://www.editionstextuel.com/livre/ukraine

Guillaume Herbaut est représenté par l’Agence VU’

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