
©Anne Immelé
Il y a immédiatement comme la sensation d’un lointain dans l’aujourd’hui.
Comme un éclair qui n’aveugle pas.
Comme une ouverture du temps.
Comme la sensation d’un désert où frappe l’Esprit, sans effrayer.
Un buisson ardent, l’origine du monde, un jardin.

©Anne Immelé
Le travail des jours et des hommes, la présence des choses, l’enfance renouvelée.
Je vois ainsi le dernier livre d’Anne Immelé, Jardins du Riesthal, dont la beauté en nuances de gris et le silence apaisent.
On ouvre cet ouvrage comme on découvre dans la plus grande quotidienneté une parallèle où se glisser.
Voici un arrosoir, un composteur, une fleur de capucine, un sceau, un muret de pierres, une ancienne lessiveuse : trois fois rien, et pourtant tout semble s’accorder dans une sorte d’unité primordiale.

©Anne Immelé
Tout vibre, comme chez Alec Soth.
Dans son essai L’Instant et son ombre (Seuil, 2008), méditation sur la photographie de W.H. Fox Talbot, Jean-Christophe Bailly, qui signe aussi l’un des deux textes de Jardins du Riesthal, propose cette belle expression « la résonance d’un écho perdu », qu’on pourrait assurément associer aussi au travail sur la lumière et la sensation du Jadis dans les images d’Anne Immelé.
On appelle désormais jardins familiaux ce que nous avons toujours connu, à Calais, Saint-Etienne, Mulhouse ou Brest comme des jardins ouvriers.

©Anne Immelé
Comme un pendant à la violence de l’industrie lourde avalant la matière humaine, comme un retour à l’enfance, comme un Eden disponible en bas de chez soi, comme une compensation nourricière, presque médiévale, à l’ogre capitaliste dévorant les prolétaires.
Que se passe-t-il sur une parcelle de terre qu’on ne cherche pas à rationnaliser à mort ? La capacité d’invention, et de destruction, de la nature n’est-elle pas plus remarquable que les desseins de ses occupants ? Faut-il un guide, ou Dieu est-il suffisant ?
On peut avoir de Jardins du Riesthal une approche écologiste. Oui, si elle englobe cette écosophie ne négligeant pas la double dimension interactionnelle et subjective qu’a su penser Félix Guattari.
On ne maîtrise pas, on coupe en caressant, on laisse se répandre en souriant, on cueille en partageant.

©Anne Immelé
On pourrait être dans le Midwest américain, ou dans le Montana, ou même chez Walker Evans, la photographie d’Anne Immelé ouvrant sa parcelle du Grand Est à toutes les mémoires.
Le format carré des photographies induit la concentration offrant à la chaise en plastique, aux pêches ou aux betteraves un moment de gloire.
Rien n’est perdu, les yeux et les sens se souviennent de tout, la photographie en son chemin d’art est une conscience supérieure, un éveil, un rappel.
Corinne Maury, dans un texte publié sur un feuillet indépendant, évoque une « réserve de vitalités fragiles », un « chaînon à la sobriété franche », la « matière-émotion de la dépouille jetée », une « épiphanie », une « solitude », un « désordre généreux », des « exubérances végétales ».
C’est très vrai, comme une politique d’hospitalité expérimentée dans un jardin.

Anne Immelé, Jardins du Riesthal, textes (français/anglais) de Jean-Christophe Bailly et Corinne Maury, conception graphique Anne-Lise Broyer & Anne Immelé, Médiapop Editions, 2022

https://mediapop-editions.fr/catalogue/jardins-du-riesthal/

Exposition Jardins du Riesthal, galerie Madé, dans le cadre du festival PhotoSaintGermain.
Vernissage le 3 novembre 17h-20h
Signature du livre le samedi 12 novembre de 17h à 20h
http://www.photosaintgermain.com/editions/2022/parcours/galerie-made