Pleine mer de chagrin, par Erell Hemmer, photographe

©Erell Hemmer

« C’était à 18h un dimanche, il y a cinq ans, jour pour jour. Ma première nuit de deuil. » (Erell Hemmer)

Troisième titre de la collection Baleine Blanche – Macaronibook – dédiée à la mémoire des pères, Pourquoi suis-je incapable d’aller sur la tombe de mon père ? est un livre de deuil, de résilience, et d’hommage.

On peut ne pas être capable d’aller se recueillir sur la sépulture d’un proche, mais réussir à construire pour lui, dans une forme artistique, un superbe tombeau.

A partir des diapositives de son père, François Hemmer, et d’images personnelles, sa fille a imaginé, en collaboration avec Camille Carbonaro, un livre fait de blancs et de longs silences.

©François Hemmer

La mémoire est trouée, il faut veiller à ne pas la trahir, et à ne pas recouvrir l’absence de certitudes peut-être trompeuses.

Le père a beaucoup voyagé, l’ouvrage d’Erell Hemmer prendra donc la forme d’une excursion au passé (titre d’un cahier indépendant légendant les images).

Voici une vie faire de mers, de bateaux, de fleurs, de visages, de paysages et d’endroits fabuleux (Bora Bora, Copacabana, Île de Pâques, Cusco, Tahiti).

Que reste-t-il de tous ces déplacements, de cette aspiration à découvrir les merveilles du monde, de ces enchantements ?

©François Hemmer

Spécialisé en expertise Maritime, François Hemmer a aimé – son épouse Valérie apparaît en portrait dans toute son aura -, travaillé (ses diapositives sont aussi le fruit de séjours professionnels), écrit, photographié, gravé.

Eprouvant ce qu’elle nomme avec beaucoup de justesse « le mal du père », comme on souffre parfois d’un mal de mer, sa fille, vivant entre Bruxelles et la Bretagne, a mis ses pas dans ses pas, refaisant des voyages, en inventant probablement d’autres, au Chili (île de Chiloé), en Islande, en Indonésie, au Japon.

Y a-t-il de la colère, du dépit, de la mélancolie ? Toutes les émotions sont légitimes lorsqu’elles sont vraies.

Le chagrin se métamorphose peu à peu, il devient un livre, qui touche quelques centaines de lecteurs, et transmet la beauté d’un lien.

©Erell Hemmer

De tailles différentes, parfois sur pages intercalées de plus petits formats, les photographies composant Pourquoi suis-je incapable d’aller sur la tombe de mon père ? sont parfaitement imprimées, sur papier Munken, Fedrigoni et Oikos.

Le soin n’est pas ici une afféterie, comme dans certains travaux parfois trop précieux, mais un manteau de dignité, parure impeccable pour un être cher trop tôt disparu.

Toutes les pages ne sont pas découpées, il faut faire bouffer le papier pour découvrir des vignettes, des visages, des scènes, des vues, déposés là comme un secret.

Une main tente d’attraper le vent, papa vole peut-être dans l’invisible.

©Erell Hemmer

Lorsque les gestes sont accomplis avec intégrité, des signes apparaissent parfois qui forment une arche d’alliance entre les vivants et les morts.

C’est en son exigence la plus stricte la nécessité de l’art.

Erell Hemmer, Pourquoi suis-je incapable d’aller sur la tombe de mon père ? editing et graphisme Erell Hemmer & Camille Carbonaro, typographie et design de couverture David Loy & Maharani Yasmine Putri, reliure artisanale Christel Caspermans (Anvers), typo couverture créée par David Loy, Macaronibook, 2022 – seconde édition de 200 exemplaires signés et numérotés