
On se souvient de la forte présence publique de Topor, de son rire hénaurme, de ses sarcasmes, de son cigare suçoté, de son beau visage un peu effrayant, de ses ivresses.
Les éditions Les Cahiers Dessinés poursuivent la publication de ses fantasmagories dessinées avec un sixième volume intitulé Chefs-d’œuvre II.
En préface, le psychanalyste et écrivain Patrick Declerck se souvient que l’ex-collaborateur du magazine Hara-Kiri et cofondateur (avec Alejandro Jodorowsky, Olivier O. Olivier, Fernando Arrabal…) du mouvement Panique fut un enfant juif persécuté, caché en Savoie durant l’Occupation.
« Etat chronique de désespoir profond, écrit-il, qu’il semble avoir passé une grande partie de son existence à tenter de masquer, à lui-même et aux autres. »
Il y a chez Topor une angoisse de fond transformée en art d’insomnie, une traversée des cauchemars par l’épée de l’imaginaire débondé.
Chefs-d’œuvre II collige des dessins en couleur procurant une impression considérable.
Une mouche se pose sur le visage d’un homme cravaté, mais son visage est lisse, sans yeux, sans cils ni sourcils, sans nez, sans bouche.
Le corps chez Topor, admirateur de Bosch et de Goya, de Daumier et de Doré, est disloqué, fracturé, brisé.
Il manque là tout un pan de visage.
Ici, un marteau cogne sur un menton jusqu’à le déboiter.
Les formes se multiplient, prolifèrent comme des polypes, les têtes s’ouvrent comme des coffres à bijoux, un crâne dévore une cervelle.

L’épouvante est toujours chargée de drôlerie, les fœtus est déjà un alcoolique, les fesses sont des têtes masculines qui s’embrassent.
Nous sommes multiples, et même légions.
Le pubis d’une femme habillée de porte-jarretelles est un diablotin à la bouche ouverte.
Des lèvres d’une autre sortent des tentacules.
L’origine du monde est un miroir où flottent des personnages béats.
La cruauté – le sado-masochisme quelquefois – n’est jamais très loin chez lui de la tendresse et de la soif d’amour.
Un homme tète mille seins pendant d’un ciel parfaitement fantasmatique.
Il y a des membres coupés, des chimères monstrueuses, des jeux dangereux.
Le désespoir est un homme, les jambes tendues entre deux falaises, jouant de la cornemuse avec son foie.
Ecartèlement.
Etirement.
Ecrasement.
Pansexualisme.
Couteau sanglant.
Hottes de larmes.
Mains de serres.
Supplice.
Prison du plaisir.
Etranglement.
Fouet.
Ronces.
Perforation.
Entaille.

En embrassant sa partenaire, Pinocchio la transperce de son nez menteur.
Sort de la nuque de la belle transie un petit sexe rouge, c’est un pic ambivalent.
Voilà Topor, inconvenant, irrévérencieux, dément, obsédé sexuel, génial.
Une créature ailée presse le ventre replet d’une femme nue.
Le lait qui jaillit de ses seins est composé d’une myriade d’oiseaux.

Roland Topor, Chefs-d’œuvre II, préface de Patrick Declerck, mise en page Frédéric Pajak, Alexandre Devaux, éditions Les Cahiers Dessinés, 2022, 208 pages
https://www.lescahiersdessines.fr/catalogue/chefs-doeuvres-2/
