Revitaliser Mai 68, par Jean-Louis Comolli, essayiste, et Jacques Kebadian, réalisateur

« C’est ça, Mai, une invention du présent, une invention de la vie, tout de suite, ici et maintenant, il n’y a rien à attendre d’autre que la vie des vivants, la remise en vie, si l’on préfère. » (Jean-Louis Comolli)

Quel plaisir de voir associés, dans un livre publié en 2018 dont j’ignorais jusqu’à hier l’existence, Les Fantômes de Mai 68, trois noms qui me sont chers.

Le bel aréopage partageant la même générosité et le même esprit de justice (contre la prédation et l’avilissement capitalistes) est composé du critique, réalisateur et théoricien du cinéma Jean-Louis Comolli, décédé en mai dernier (nous avons effectué plusieurs entretiens, j’ai présenté tous ses derniers livres), du réalisateur d’origine arménienne, premier assistant de Robert Bresson sur plusieurs films, ami de Pierre Guyotat et de Patrick Bouchain, Jacques Kebadian, et de l’éditeur liégeois Guy Jungblut, compagnon de route de Bernard Plossu (éditions Yellow Now).

Les commémorations de Mai 68 me furent insupportables. Impression d’un festin de chaque instant se terminant en repas dominical suivi de torpeur et de mélancolie à l’heure de faire ses devoirs.

Il s’agit ici, à partir de photogrammes tirés de films tournés au cœur de l’insurrection parisienne par Michel Andrieu, Jacques Kebadian et le collectif ARC, de faire sentir la force du peuple en lutte, la poussière brûlante de l’Histoire, la fraternité des visages réunis dans un but commun.

Daniel Bensaïd écrit dans Une lente impatience : « Quand on voit ce qu’est le monde devenu, nous avons eu raison de croire de toutes notre persévérance, qu’il pouvait devenir autre et que nous pourrions aider à le changer. Nous nous sommes trompés, sans doute, sur bien des choses, mais pas de combat ni d’ennemi. » 

La police charge, les images sont brouillées, il pleut de la rage lacrymogène.

Jets de pavés, assemblées populaires, votes à main levée, feux d’espoir.

La nuit est descellée, rien ne sera plus comme avant.

Un étudiant tombe, un autre le relève, ils courent ensemble.

Il faut s’organiser.

Quelqu’un écrit : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas. »

Le programme ? amour, poésie, révolution.

Comolli : « Nous ne célébrons pas un passé remarquable, nous attendons un futur à fêter. »

Voitures renversées, fumées, tensions.

Philippe Garrel est peut-être là, et Chris Marker, et le couple Godard-Gorin (mais Godot ?).

Les silhouettes s’agitent, ce sont celles de conjurés, mieux, de conspirateurs.

On respire ensemble l’air du temps, on le souffle, on le crée.

Mégaphones, casques de moto, banderoles.

Portrait de Mao, invectives, salles pleines, intersyndicales.

S’avancent des jeunes femmes plus belles que le Panthéon.

On se tient la main, on se masque, on fait l’amour sans attendre devant la soldatesque.

« La photochimie de la pellicule 16 mm, affectée par le passage du temps, écrit Jean-Louis Comolli dans son texte-chant, crée à elle seule des situations photographiques originales : voyant ces images, on voit aussi ce qu’il en reste : elles sont entamées par le Temps, et c’est aussi en cela qu’elles témoignent non seulement de ce qui a été, mais de ce qui n’est plus sinon en cet état de traces. Et les corps filmés, dans ces images arrêtées, combattent non seulement contre l’effacement qui est à l’œuvre dans tout processus historique, contre l’oubli, contre la perversion de la mémoire, mais contre l’effacement même des traces qui les montrent encore, ces silhouettes improbables, déjà en voie de désagrégation. Le combat est ici double : contre les adversaires autrefois indentifiables et aujourd’hui confondus dans la grisaille, mais contre la lente disparition des cristaux de bromure d’argent qui étaient devenus la dernière demeure de ces fantômes. »

Mai 68 fut-il vécu ou rêvé ?

Le théâtre du monde était shakespearien, il l’est encore.

Jacques Kebadian, Jean-Louis Comolli, Les Fantômes de Mai 68, Yellow Now, 2018, 82 pages

https://www.yellownow.be/post/____i-230

https://www.leslibraires.fr/livre/13485667-les-fantomes-de-mai-68–kebadian-comolli-yellow-now?affiliate=intervalle

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