Egypte, l’esprit d’un peuple, par Denis Dailleux, photographe

©Denis Dailleux 

Chaque fois que je réside à l’hôtel La Louisiane à Paris, je revois la silhouette de l’écrivain égyptien Albert Cossery, qui y logea de 1945 à l’année de sa mort en 2008.

Repensant à l’auteur de Mendiants et Orgueilleux, me viennent en tête les photographies si intensément douces et de nature picturale de Denis Dailleux.

Le choix du format 6X6 donne à ses personnages une place centrale dans le cadre, dont le visage comme les attitudes semblent traduire au suprême l’âme égyptienne.

Il y a chez lui continuité, et même unité, entre l’humain et son environnement, comme si tout entrait en résonnance intime.

©Denis Dailleux 

Après Habibi Cairo. Le Caire mon amour (Filigranes, 1997), Le Caire (Le Chêne, 2001), Fils et rois. Portraits d’Egypte (Gallimard, 2005), Impressions d’Egypte (La Martinière, 2011), Egypte. Les Martyrs de la révolution (Le Bec en l’air, 2014) et Mères et fils (Le Bec en l’air, 2014), paraît, toujours publié par Le Bec en l’air, l’impressionnante monographie Misr – nom arabe romanisé désignant l’Egypte -, reprenant les photographies emblématiques de l’artiste, ainsi que des images inédites.

On peut lire aussi dans le choix de ce titre la conjonction entre Miss et Mr, soit la fusion des polarités de genre dans une dominante sensible féminine.  

Comprenant 130 photographies – d’abord en noir & blanc, correspondant à la première période de l’artiste, puis en couleur, sa signature esthétique depuis de nombreuses années -, cet ouvrage est un hymne sans tonitruance, un chant de pudeur, une ode à un pays populaire et multiple, dont le photographe a su comme personne percevoir l’identité, bien loin des représentations convenues.

Les ombres sont souvent très présentes, il ne s’agit pas d’exposer à toute force les scènes de la vie quotidienne s’offrant à la vue, mais de rendre compte avec beaucoup de délicatesse des visages et des gestes d’un peuple aimé aussi pour sa dimension secrète déliée de toute tentative d’emprise par un œil occidental.

©Denis Dailleux 

Nous sommes au Caire, en Haute et Basse-Egypte, sur les rives du Nil, du côté de l’ordinaire des jours ou des fêtes (familiales/religieuses) avec une population respectée dans son mystère.

Des parentèles posent avec confiance, des enfants, des ouvriers.

La pauvreté, voire la misère, est évidente, mais Denis Dailleux parvient à percevoir en chacun une dimension d’intériorité et d’irréductibilité très émouvante.

Il y a le social, mais il y a surtout l’humain qui, s’il appartient à son paysage immédiat, échappe à toute volonté de le réduire à des coordonnées socio-historiques ou d’atavisme culturel.

©Denis Dailleux 

Tous sont les enfants de Dieu, se tenant debout entre ciel et terre.

On danse jusqu’à l’extrême, on s’inquiète, on se réunit dans la nuit très noire ou éclairée simplement par les lampions d’une fête foraine, on jette dans l’invisible des regards fiers et droits.

Avec Misr, colligeant trente années de photographies, Denis Dailleux tourne-t-il la page de l’Egypte ? Oui, peut-être, mais c’est impossible.

« Denis Dailleux, écrit Christian Caujolle, n’ignore pas que, pour réussir les photographies qui le touchent, pour répondre à l’exigence, aux exigences qui fondent son travail, il doit pactiser avec le temps. Il ne vole aucune image, il attend qu’elle soit là, il peut lui courir après à l’instant précis où elle va s’offrir, mais il sait ne jamais être pressé. D’autant que son exploration du Caire n’est pas à proprement parler un « projet ». Il ne s’agit pas, de façon qui serait vouée immanquablement à l’échec, de dresser le portrait de l’immense capitale, mais de la humer, de la ressentir, de garder trace des plus beaux souvenirs et des plus belles rencontres que peut permettre la disponibilité de celui qui marche, s’arrête, dialogue, prend le temps. »

©Denis Dailleux 

Oui, la vie n’est pas un projet, surtout pas, mais une disponibilité, une attente sans drame de ce qui se présente, et arrive pour nous bouleverser.

En teintes très fines, parfois proches du monochrome, Denis Dailleux offre à ses spectateurs la grâce d’enluminures où l’énergie féminine subsume tout ce que le monde pourrait comporter de dualité viriliste.

La série Mères et fils est en cela exemplaire, des culturistes posant à côté de leur maman, comme si leurs muscles étaient bien davantage le symbole d’une tendresse de protection filiale que monstration de force brute.

Il y a dans les photographies exposées ici une dimension d’atemporalité très belle, comme si, pour son œuvre au long cours, Denis Dailleux était parvenu à préserver le pays qu’il aime de sa corruption contemporaine, la pollution des espaces étant vécue comme une blessure personnelle.

©Denis Dailleux 

Un homme pose doucement la main contre une représentation lumineuse de Saint Georges terrassant le dragon.

Telle est l’ambition de l’art le plus haut : vaincre les ténèbres et dialoguer avec l’ange.

En postface, Christian Lacroix écrit avec justesse : « L’Egypte de Denis Dailleux est un intime sanctuaire offert en partage, à cœur ouvert, le réceptacle de l’indicible, de l’éternel, en cet espace-temps qui est le nôtre, si vain et si hermétique à la quintessence des choses. »

Denis Dailleux, Misr, texte (français/anglais) Christian Caujolle, couverture & postface Christian Lacroix, édition Fabienne Pavia, Le Bec en l’air, 2022, 198 pages

https://www.becair.com/produit/misr-legypte-de-denis-dailleux/

©Denis Dailleux 

https://www.denisdailleux.com/

©Denis Dailleux 

Denis Dailleux est représenté par l’agence VU’ (Paris), la galerie Camera Obscura (Paris), la Galerie 127 (Marrakech), la Box Galerie (Bruxelles), la galerie Peter Sillem (Francfort) et la galerie Tintera (Le Caire)

Denis Dailleux exposera à la galerie Camera Obscura à partir du 7 janvier 2023

https://www.leslibraires.fr/livre/21487003-misr-legypte-de-denis-dailleux-denis-dailleux-bec-en-l-air?affiliate=intervalle

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