A Marioupol, par Yan Morvan, photographe

Russian soldier entering the Marioupol University after shellings 08/04/22 ©Yan Morvan

« La dimension christique du journaliste qui, au péril de sa vie, cherche la vérité est encore une réalité. Entre missionnaire et casse-cou, certains s’essayent à cette discipline qui est tout sauf un sacerdoce rempli de bonnes intentions. » (Yan Morvan)

Yan Morvan ne fait pas la leçon, sauf à ceux qui la lui font.

Il peut discourir, se rendre dans les salons parisiens, être reçu à haut niveau, mais rien ne lui permet de mieux penser, fidèle sûrement en cela à Louis-Ferdinand Céline, que le terrain, l’effroyable terrain.

Son dernier livre paru chez Industrie Culturelle (Quentin Euverte), hors-série 4 de la publication de la totalité de ses archives (sorte de Never Ending Tour à la Dylan), ne ravira peut-être pas les manichéens, qu’il a intitulé justement, et avec une féroce ironie, Les Forces du mal.

©Yan Morvan

Nous sommes à Marioupol, en 2017 et 2022, du côté des soldats russes, non par aveuglement de prise de position politique ou partisane, mais parce que les contacts sont là, de longue date, et que de ce côté-ci de l’Occident peu nombreux sont les photoreporters de talent à prendre le risque de ne pas être automatiquement considérés comme les défenseurs du Suprême Bien.

Yan Morvan sait que la guerre est sale, et qu’on n’y comprend généralement rien.

Comme le répète Bardamu : « Il y a ceux qui ont des cartes et des jumelles, les généraux, les gradés, les abrutis de première classe, et les autres. »

Par qui sera-t-on tué ? De quel côté viendra la balle ou l’éclat d’obus ? Par un des siens peut-être.

improvised Thumb of the building unhabitant and his relatives on Marioupol front line close to the port – 09/04/22 ©Yan Morvan

Les Forces du mal est un livre froid, fou, de grande dégueulasserie, et très calme – la chambre photographique autorise cela.

Un cadavre étendu devant une église que personne ne vient chercher.

Des chars marqués de la lettre Z (lire ma chronique du livre de Iegor Gran, Z comme Zombie, P.O.L, 2022).

Des voitures calcinées, des paysages éventrés, un dément, des mecs à bonnets près de leur fourgonnette – la guerre n’a décidément pas un visage femme.

Russian soldier fighting in Marioupol Theater – 07/04/22 ©Yan Morvan

Un soldat fume une cigarette près du théâtre criblé d’impacts de balles.

Des monuments sont effondrés, des militaires posent en armes, les époques se mélangent. Est-on en 2017 avec les séparatistes ou en 2022 avec les militaires russes ?

Les combats vont durer trois mois, notamment autour de l’immense complexe sidérurgique où les derniers soldats ukrainiens se sont regroupés.

Un sniper russe est posté dans l’aéroport de Donetsk.

Marioupol Center – Russian organised food and water delivery to remaining citizens 09/04/22 ©Yan Morvan

« Tyson » est le garde du corps de l’ultranationaliste russe Zakhar Prilepine (qui a fait partie de la délégation officielle des écrivains russes invités par le Salon du livre de Paris en mars 2018), officiellement conseiller du chef de la République populaire de Donetsk, Alexandre Zakhartchenko.

Le Breton Erwan Castel, ancien des services spéciaux français engagé dans le Donetsk du côté séparatiste depuis 2016, est interrogé le 7 avril 2022 par le photographe (témoignage de professionnel rare, terrible, et passionnant) : « Le sniper est un type qui rend compte de la situation et de l’activité sur les positions ennemies, qui maîtrise parfaitement la cartographie du champ de bataille. Il doit être à même de corriger des tirs d’artillerie ou de mortier, de rendre compte à la radio des activités prioritaires et urgentes. Sa fonction de tireur représente environ 10% de son travail. »

Des soldats tchétchènes, très bruns, barbus, groupés comme de bons camarades, se montrent à visage découvert devant la mer d’Azov, souriants.

Attente, chiens errants, treillis.

©Yan Morvan

Stocks de munitions et soleils noirs – symbole nazi utilisé par le régiment Azov, composé de volontaires ukrainiens d’extrême-droite.

Au centre de Marioupol, les immeubles sont calcinés, seuls les plus pauvres sont restés, l’espérance de vie est faible.

Des gravats partout.

Propaganda dirige le monde.

Montrer, sans décryptage, des soldats russes distribuer des vivres à une population affamée, est-ce servir les intérêts de Poutine, ou simplement un honnête travail de journaliste témoin de faits à relater ?

Marioupol Center – Russian organised food and water delivery to remaining citizens 09/04/22 ©Yan Morvan

Il y a probablement du Jacques Vergès chez Yan Morvan, se méfiant toujours des plus prompts à s’indigner.

Mais, bien évidemment, je n’y comprends rien, essayant de constater le constat sans parvenir à en déjouer peut-être les pièges sémantiques.

Guillaume Herbaut passe cette semaine à Brest, je lui montrerai ce livre.

Et lirai dès que possible Terre de sang, de Timothy Snider dont Yan Morvan me conseille la lecture.   

Yan Morvan, Les Forces du mal, texte Yan Morvan, entretien avec Erwan Castel, Industrie Culturelle/Quentin Euverte, 2022 – hors-série 4, 500 exemplaires

https://www.archivesyanmorvan.com/

Ukrainian separatist pro-russian entering Marioupol on the way to the front line 04/04/22 ©Yan Morvan

https://www.archivesyanmorvan.com/produits/ukraine

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