
Autoportrait, 1643, Diego Velazquez
« Lorsqu’un écrivain naît dans une famille, la famille est foutue. » (Philippe Roth)
Marc Pautrel – Orpheline, Une jeunesse de Blaise Pascal, La sainte réalité, La vie princière, L’éternel printemps, Le peuple de Manet – est un maître des récits courts.
Philippe Sollers, son éditeur, est un soutien indéfectible et attentif, qui lui refuse pourtant son dernier manuscrit jugé comme excellent : Vous comprenez, cher ami, publier ce texte vous exposerait trop et conduirait à des poursuites judiciaires, ce n’est pas possible, il faut trouver une autre façon de présenter les faits, mais vous trouverez, je ne suis pas inquiet.
Un merveilleux souvenir – titre pour une grande part ironique – est le récit dévié d’un récit impossible se fondant sur un silence de plomb, laissant au lecteur le soin de deviner l’infâmie.
Il faut être Diego Velazquez, peindre directement ce qui est, aller au vif des traits et dans la cruauté s’il le faut, mais l’époque, fonctionnant cependant sur la laideur et la vilénie morale, interdit qu’on en dise trop : « On ne me reproche rien, on ne me censure pas, mais on donne la possibilité au monde, en m’occurrence aux personnes qui ont croisé ma route, de nier le fait que je les ai croisées et que j’ai ressenti à leur contact un sentiment de désespoir ou de peur. Mon éditeur lui-même n’y peut rien, il navigue au milieu d’un monde éditorial bouleversé où l’Art est lentement remplacé par le pur commerce. Cet éditeur me protège contre la violence, et ici judiciaire. »
Mais, au fait, de quoi s’agit-il ? Peut-on s’avancer quelque peu vers le cœur de l »ignominie ?
Un merveilleux souvenir est l’histoire fantôme d’une perte, d’une ruine, d’un rapt, mais c’est aussi un éloge de l’amour, envers une sœur, des nièces et des grands-parents adorés – les souvenirs abondent -, et des lieux familiaux de rassemblement.
Il y avait (les liens, les maisons solides), mais il n’y a plus.
Les grands-parents ont emménagé après le confinement dans un foyer pour personnes âgées – à l’insu de leur plein gré ? -, ce qui n’est peut-être pas la meilleure des choses pour eux.
« Ce qui s’est passé pour moi, au cœur de ma famille, et ce que je vis maintenant, à l’instant où j’écris ces mots, c’est exactement comme un confinement : la solitude à l’intérieur du bonheur, un immense manque, quelque chose qu’on aurait oublié, et qu’on saurait avoir oublié, mais sans plus savoir de quoi il s’agit. Voilà comment je suis aujourd’hui : comme un confiné, perdu dans une ville que la folie des gouvernants a vidée de ses corps. J’appelle et personne ne répond, parce que là où je me trouve il n’y a plus que moi. »
Les êtres aimés chutent, sont emportés, il n’y a plus que la désolation.
Depuis son petit bureau chez Gallimard, Philippe Sollers, imperturbable, conseille : « Partout le chaos règne, mais ne vous en souciez pas, continuez d’écrire. »
Et cette parole d’éthique : « Je me souviens encore d’une autre remarque de mon éditeur, un jour : la souffrance n’est pas un spectacle. C’était après que je lui ai dit que tout ce que je voyais passer sous mes yeux m’apparaissait comme un spectacle que je devais rapporter, même les choses les plus tristes. »
Il ne faut rien lâcher, chers lecteurs, sur l’idée de la vie princière.

Marc Pautrel, Un merveilleux souvenir, L’Infini/Gallimard, 2023, 86 pages
