L’amour, selon la revue La mer gelée

Publiée depuis 2021 aux éditions Vanloo, la revue La mer gelée, fondée à Dresde en 2000, consacre son dernier numéro à l’amour.

Très ouverte aux écrivains germanophones (Wolfgang Hilbig, Hubert Fichte, Sarah Kirsch, Alexandra Bulucz, Olga Martinova, Oleg Jurjew), on trouve aussi dans ce riche numéro des auteurs espagnols (Pedro Lemebel, Rafael-José Diaz, Maria Fernandez Ampuera), italien (Andrea Inglese), canadien (Simon Brown) hongrois (Toth Krisztina) et français (Christophe Manon, Jean-Daniel Botta, Antoine Brea, Georges-Arthur Goldschmidt, Alban Lefranc, Alain Patrick Olivier, Noémi Lefebvre, Jean-Daniel Botta, Didier da Silva, Stéphane Bouquet, Dorothée Zumstein, Mathieu Arsenault, Bérangère Pétrault, Amélie Lucas-Gary).

Accompagné de quelques œuvres graphiques (Rahma Kenza Rahim, Laurent Grappe), La mer gelée est donc une publication de recherche jouant un rôle de passeur important dans la sphère éditoriale francophone.

De ce dernier volume, je retiens surtout les textes suivants.

L’esprit de la fessée de Georges-Arthur Goldschmidt, dédié au dramaturge espagnol Armando Llamas, est à la façon de Rousseau – et de Louis-René des Forêts dans Ostinato – un éloge trouble de la fessée déculottée, si possible en public : « La fessée, avoue-t-il, est l’un des fonds de mémoire du très vieil homme que je suis. Souvenir, tout à la fois inquiet et reconnaissant, fait d’émotions charnelles et mentales d’une extrême intensité. »

Le martinet et la badine comme instruments de volupté ? Non, oui, bien sûr.

« La fessée devient l’un des grands tabous de l’ère contemporaine, où la vertu fait si bon ménage avec les dictatures. »

L’institution catholique de bon niveau où le jeune homme recevait son éducation était dirigée par une maîtresse femme : « Vu mes formes, madame la directrice me disait souvent : « Mon garçon, vous êtes fait pour le fouet. » Il est vrai, j’étais totalement imberbe et un peu féminin. J’avais fini par goûter mon état de soumission comme une certitude. »

Que l’on soit surpris en train de polluer ses draps, ses mains ou sa bouche, et la sanction venait, immédiate, affolant le cœur et le désir.

« Ces fessées, conclut l’écrivain et grand traducteur (Peter Handke, Walter Benjamin), m’ont aiguisé l’esprit et appris à ne croire personne, à ne jamais adhérer, à toujours douter de tout et m’ont donné, comme on disait jadis, « mauvais esprit » et le respect des autres. »

Un peu de poésie maintenant avec Oleg Jurjew (Leningrad, 1959-Francfort/Main, 2018).

Texte Une fois mort, dont je vous donne en entier les cinq paragraphes/strophes : « Une fois mort, je deviendrai ton chien, probablement un bouledogue français à courtes pattes courbées avec des plus pendant sur sa face ronde à la truffe aplatie et de petites oreilles comme celles du diable. / Ou bien (pour la cas où tous les trucs médicaux inévitables chez cette race chétive ne te rebuteraient pas) un chien japonais, minuscule, duveteux et rapido-lent, qu’on dirait construit à partir de poissons d’ornements noirs ou blancs fourrures épaisses – ce chien intrépides des samouraïs, disait Elena Schwarz [lire sa poésie aux éditions brestoises Les Hauts Fonts], morte elle aussi. / A la rigueur un bichon soviétique commun, avec des boucles mauves sur le front et devant les yeux et un regard de perles de verre à travers ces boucles – pour reposer sur tes genoux, ou dans le fauteuil à côté de toi, et ne penser à rien, et ne rien vouloir sinon être sur tes genoux ou dans le fauteuil près de toi. / Et dormir, et me mettre à trembler et pousser un cri quand j’aurai rêvé : un jour j’ai été ton homme. / Sans lever les yeux tu étendras la main et tu le grattouilleras entre les oreilles : Calme-toi, mon petit, ce n’est qu’un rêve. Chez les chiens, c’est sans importance. »

Mathieu Arsenault quant à lui (on peut acheter ses t-shirt et autres objets littéraires sur doctorak.co, sa boutique en ligne) s’intéresse au beau concept médiéval de la dilection : « Ma vie monastique du dixième siècle avait développé une émotion qui  nous est aujourd’hui étrangère, la « dilection », un type d’affection pour les amis plus intense que la charité qui ne s’exprimait jamais mieux que pour les absents et même les morts, car l’amour pour ce qui se trouve dans le lointain est moins orgueilleux et exclusif que celui pour les amis proches et présents. Ma dilection marquait l’appartenance à la communauté au-delà même des gestes de fraternité. »

Les plus assidus à l’église (rite en latin) se souviennent peut-être de cette parole des Psaumes : Quam dilecta tabernacula tua, Domine virtutum, soit quelque chose comme « Comme tes demeures sont aimables, Eternel Seigneur »  

Celles de la fessée ?

Celles de la gent canine en ses métamorphoses ?

Terminons avec l’excellent Simon Brown et son poème Cinq amours autonomes : « au secours / je meurs du genou / d’amour je marche tardigrade / molle tête margaret / pour les siècles des siècles / à moins / du cri des corneilles margaret / la paupière lourde comme une excavatrice / je voulais un nuage / pas le mot nuage »

Comme à Naples, ou à Calais, rigoler des genoux pour les siècles des siècles, à moins que la grâce de dilection ne nous saisisse, ô mon amour, viens dans mes bras encore une fois et fouettons-nous de baisers.

Revue La mer gelée, comité éditorial Bernard Banoun, Antoine Brea, Alban Lefranc, Noémi Lefebvre, Aurélie Maurin, éditions Vanloo (Aix-en-Provence), numéro 11, 2022, 172 pages

https://www.editionsvanloo.fr/nos-livres/la-mer-gelee/

https://www.leslibraires.fr/livre/21976031-la-mer-gelee-amour-janvier-2023-collectif-la-mer-gelee?affiliate=intervalle

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