Juliette Drouet et Victor Hugo, un amour fou

« Commençons ce livre par le mot amour. Puissions-nous le finir par le mot bonheur. » (8 mars 1833 – inscription de Victor Hugo sur le « carnet rouge » offert à Juliette Drouet)

L’amour ayant uni pendant près de cinquante ans Victor Hugo et Juliette Drouet est l’un des plus beaux qui soit, faisant songer, pour la profondeur et la longévité, à celui de Philippe Sollers et Dominique Rolin (lire leur fabuleuse correspondance en plusieurs tomes chez Gallimard), l’amante du pair de France étant également une formidable épistolière.

« Le lien qui existe entre nous est celui qui me tient à la vie, lui écrit-elle en 1833 (il a alors trente ans, elle vingt-six). Si je n’avais été ton amante j’aurais voulu être ton amie. Si tu m’avais refusé ton amitié, je t’aurais demandé à genoux d’être ton chien, ton esclave. / Mon âme est rongée par la pensée de ma situation. Mais je veux être seule à souffrir. Tu es trop faible, toi, pour supporter comme moi des nuits sans sommeil. Si tu mourais, voudrais-tu m’empêcher de mourir avec toi ? Fou, le pourrais-tu ? N’es-tu pas mon âme et ma vie ? Et le chagrin, qui chaque jour grossit comme une avalanche, le chagrin qui creuse l’âme goutte à goutte, n’est-ce pas une longue mort ? »

Paraît en Folio classique pour la première fois, reproduits en fac-similé, dans une édition très riche – comprenant un choix de poèmes et de scènes théâtrales inspirées à l’écrivain par sa belle amoureuse -, les trois carnets de Victor Hugo à Juliette Drouet datés de leurs deux premières années de passion (1833 et 1834).

« Le jour où ton regard a rencontré mon regard pour la première fois, un rayon est allé de ton cœur au mien, comme l’aurore à une ruine. »

Comme l’aurore à une ruine !

« Le premier jour on t’aime pour tes yeux, le deuxième pour ton cœur, le troisième pour ton âme. Et puis une fois qu’on t’aime pour tout cela à la fois, on ne peut plus cesser de t’aimer. »

Le 9 août 1834, les amants se retrouvent à Brest, Juliette ayant fui lors d’un moment de doute en Bretagne : « Il est sept heures du soir. Le temps est comme notre destinée ; après une journée de brume et d’orage, nous venons d’avoir un beau jour. Le ciel et la mer, tristes et gris pendant notre séparation, se sont faits bleus et sereins pour te sourire avec moi. Belle âme, Dieu t’aime ! / Ici notre union s’est scellée dans une promesse solennelle. Ici nos deux vies se sont soudées à jamais. Souvenons-nous toujours de ce que nous nous devons désormais l’un à l’autre. Ce que tu me dois, je l’ignore, mais ce que je te dois, je le sais, c’est le bonheur.

Hugo ne sera pas toujours fidèle, Juliette peut-être non plus, qui se plaindra avec le temps de l’éloignement charnel de son aimé, passionnément épris après la mort de Léopoldine – il fallait sûrement ce renouvellement par le corps – de la très belle Léonie Biard, puis de Blanche Lanvin, servante de Juliette.

Pourtant, cinq ans après la mort de son épouse Adèle – cette femme également exceptionnelle, et trop peu mise en avant dans les études littéraires, eut comme amant Sainte-Beuve, lassée des coucheries de son mari qu’elle avait dispensé de son devoir conjugal -, tous deux vivront ensemble jusqu’au décès de Juliette, qui fut la première lectrice des Misérables et de la plupart des textes du grand écrivain dont elle recopiait les manuscrits.  

Ils ne se quittèrent jamais longtemps, Victor Hugo installant près de chez lui à Paris, à Bruxelles, à Jersey et à Guernesey, la véritable femme de sa vie

Elle l’aida lorsqu’il perdit sa fille – nouvelle apprise dans un journal alors qu’il revenait par les Pyrénées d’un voyage en Espagne -, et lui sauva la vie en lui trouvant des cachettes lors du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851.

Il lui écrivit ces mots éternels : « Le plus grand bonheur de la vie c’est l’amour ; le plus grand malheur de la vie, c’est l’amour. Voilà pourquoi, ma J…, quand je te regarde, j’ai si souvent tout à la fois un sourire sur la bouche et une larme dans les yeux. »

Lorsque Victor Hugo meurt, un million de personnes, massées dans les rues de Paris, lui offrent un dernier adieu alors que passe son corps dans le corbillard des pauvres (lire Judith Perrignon).

« Juliette, précise l’historienne et spécialiste du théâtre romantique Florence Naugrette, dans la conclusion de sa préface, l’avait accompagné dans tous ses combats : pour la liberté d’expression, pour la République, contre la peine de mort, pour l’amnistie des communards, pour l’égalité entre les sexes, pour l’instruction laïque, gratuite et obligatoire, pour la résorption de la misère par le droit au travail et l’assistance publique, pour la reconnaissance des droits de l’enfant. Elle avait été sa première copiste, elle savait son œuvre indissociable de toutes les causes, et soutenait celles-ci comme elle admirait celle-là. Car ce qu’elle aimait en lui – c’est ce qui explique qu’elle ait renoncé, pour le soutenir, à sa propre carrière, on le sait par le journal épistolaire qu’elle lui adressa pendant cinquante ans – c’était à la fois l’homme et le génie. »

Victor Hugo, Carnets d’amour à Juliette Drouet, édition de Jean-Marc Hovasse, Arnaud Laster, Florence Naugrette, Charles Méla et Danièle Gasiglia-Laster, Folio classique, 2022, 320 pages

https://www.folio-lesite.fr/

Lorsque Victor Hugo perd Léopoldine, il a quarante-et-un an.

Lorsque Thierry Consigny perd sa petite fille Lara, également par noyade, il a trente-six ans.

Tout n’est pas lié, mais tout l’est.

Pendant trois années, Hugo ne va plus écrire, qui, après le décès de sa fille, telle est l’hypothèse de Thierry Consigny dans Léopoldine (Grasset, 2022), quitte son conservatisme pour mettre son génie au service des plus démunis.

« Après la mort de sa fille, Hugo le notable, l’ami des riches, devient peu à peu Hugo le révolutionnaire, l’ami des pauvres. Il bombardera bientôt les puissants de poèmes si violents qu’encore aujourd’hui on ose à peine les lire et qu’ils restent peu connus. »

Par le montage parallèle des premières pages – d’un côté Hugo et son amante revenant d’Espagne, de l’autre Léopoldine et Charles badinant -, l’auteur de La Grande Vie (Flammarion, 2007) crée une tension qui est celle du destin planant sur les personnages d’un roman existentiel aux lignes pour une grande part indéchiffrables.

Thierry Consigny écrit ceci, qui paraîtra peut-être scandaleux : « La mort de Lara est la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie. Ce n’est pas une provocation, cela n’enlève rien à la beauté de mes autres enfants, renouvelée tous les jours [Hugo avait trois autres enfants]. Ni à ce que nous tenons tous pour trésors : l’amour, l’amitié, l’admiration. Mais Lara morte, la tristesse de son absence est aussi la joie de sa présence, à chaque instant. Une tristesse telle qu’elle atteint, à la cime des émotions, la joie, inconsolable. Cette même joie, inconsolable que l’on peut trouver chez Bach, chez Mozart. »

Léopoldine est le beau récit d’un deuil impossible, et la métamorphose de la souffrance par l’écriture, cette puissance souvent ivre de joie, l’amour charnel (Juliette, Léonie, d’autres maîtresses), et la politique révolutionnaire.

Disparaît-on vraiment, ou est-ce simplement un effet de la stupidité de nos raisonnements et de notre bien courte vue ?   

Albery Einstein aurait, semble-t-il, la réponse.

Thierry Consigny, Léopoldine, Grasset, 2022, 198 pages

https://www.grasset.fr/livres/leopoldine-9782246831167

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Kebadian jacques dit :

    Un beau cadeau pour la Saint Valentin

    J’aime

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