
« Dans les documentaires sur DADA on ne te voit pas – Höch est le silence. Dans la grande étude de Robert Motherwell sur Dada tu n’apparais pas – Höch est le silence. Dans les archives on ne te remarque pas – Höch est le silence. »
J’ai découvert l’œuvre de la dadaïste berlinoise Hannah Höch en 1992, lors d’une exposition au musée des Beaux-Arts de Calais, la plus importante à ce jour ayant eu lieu en France où cette artiste est méconnue.
Présentée le plus souvent et uniquement comme la compagne et maîtresse de Raoul Hausmann, Hannah Höch – son grand ami Kurt Schwitters lui conseilla de rajouter un h à son prénom pour la beauté du palindrome – outrepasse très largement ce rôle, puisqu’elle ne cessa de questionner la place des femmes dans la société et la conjugalité hétéronormée – elle vivra une relation amoureuse pendant dix ans avec l’écrivaine néerlandaise Til Brugman.
Hannah Höch (1899-1978) est une collagiste (voir ses ironiques et très beaux collages en dentelle) et une photomonteuse d’exception, dont l’écriture porte indéniablement une importante dimension de critique sociale et politique – elle travailla notamment avec des cartes postales de soldats allemands de la Première Guerre mondiale.
Avec Les Mains d’Hannah, publié chez Tinbad, la poétesse Perrine Le Querrec a construit un livre qui lui ressemble, fait de propositions biographiques sans continuité chronologique directe, de pans de pages aux statuts divers, sorte de collage textuel aussi passionnant que savoureux dans l’étonnement et la joie mentale qu’il procure.
A l’orée de son ouvrage, l’auteure de Rouge pute (La Contre Allée, 2020 – une publication japonaise est en cours) reprend les mots d’une lettre envoyée en 1921 par Hannah à sa sœur (ils pourraient bien entendu être les siens) : « Chère petite Grete, je sais actuellement si peu de choses de toi. […] Mais, pour les femmes que nous sommes, il n’y a pas d’hommes aujourd’hui qui soient faits pour nous ; sûrement que le temps né de nos insurrections nous apportera en compensation nos semblables, mais nous, nous sommes des combattantes. Nous sommes aussi des femmes […], politiquement nous sommes naturellement des extrémistes. »
Hannah et ses sœurs.
La désarticuler pour la trouver, entendre son cri, la réveiller.
« Ecrire sur toi c’est suivre la danse de tes ciseaux. »
On échoue, on creuse, on se mine, et l’on offre un livre « incertain » à Guillaume Basquin, qui l’édite.
Découper Hannah : « Les nuits blanches de la ponctuation / Remplacer tous les . par des -, qu’ils soient sutures comme elle façonne, interrompt les figures et montre les raccords. Ecrire en phrases très courtes montées les unes aux autres. Construire ainsi le tableau général du récit. En cut-up non pas aléatoire mais organisé. »
Searching Hannah.
Hurrah Oural Hannah.
Oh Hannah d’Ho Chi Minh-Veille et de tous les Vietnam de libération des femmes.
Oh Hannah humour umour, connais-tu Unica (Zürn) ?
Etre fille, puis femme, refuser les seconds rôles.
« L’amour dans le corps, écrit Perrine-Hannah, je voltige je découpe le féminin le masculin j’inverse je renverse j’additionne des femmes aux ailes de libellule des amours hermaphrodites des envolées érotiques des formes lesbiennes aériennes éternelles. »
Dansent l’amie Sophie Taeuber-Arp, danse Mary Wigman, dansent les possédés, les sorcières.
Papier, feuille, ciseaux, colle.
Hannah déchire la propagande nazie, recompose, libère.
Pensée de la main contre mécanique de la terreur.
« Face à l’adversité la plus extrême, en dépit du danger de tous les instants, elle fracture l’image pour mieux en révéler la fabrication. L’essence. L’invisible. Jointures bien visibles pour prendre le temps de réfléchir. D’y réfléchir. »
Trancher l’image fascinée/fascisée à la gorge.
Hannah for ever : « femme dada la plus dada de tous jusqu’au dernier geste le talent imaginatif la joie de la découverte et de l’invention, le refus des dogmes. L’esprit, toujours l’esprit légèrement provocateur. L’imprévu, le miracle d’une nouvelle trouvaille quotidiennement possible. »

Perrine Le Querrec, Les Mains d’Hannah, « liberté illimitée pour Hannah Höch », Tinbad, 2023, 80 pages
http://www.perrine-lequerrec.fr/

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