Théo Mercier en collaboration avec Tiphaine Buhot-Launay, Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai (2022) © Yohanne Lamoulère /
Tendance floue
« L’art est ce qui rend la vie en Ephad plus intéressante que l’art » (Roberto Tilliou, résident)
Ouvrage collectif au format cahier d’écolier reprenant une partie de la collection permanente de LBO initiée par les écrivains Mohamed El Khatib et Valérie Mréjen, Les Blés d’or constitue un témoignage majeur concernant le projet inédit ayant abouti à la création du premier centre d’art en Ephad.
Et si l’on ambiançait un peu les maisons de retraite ?
Et si l’on métamorphosait l’Ephad de maman et grand-père en lieu d’échanges nouveaux, riches pour chacun ?
Et si l’art pouvait, comme il se doit, être valeur de partage, de curiosité, de déstabilisation émancipatrice ?
« LBO, écrivent Mohamed El Khatib, dramaturge, auteur notamment du spectacle La Vie secrète des vieux, et Valérie Mréjen, plasticienne, est avant tout une expérience artistique et humaine, une esthétique du soin et de la relation qui a permis l’émergence d’œuvres singulières. »
Louise Sari, Autel (2022) © Yohanne Lamoulère / Tendance floue
Situé près de Chambéry, l’Ephad Les Blés d’or (directrice Clotilde Rogez) s’est donc lancé dans la belle aventure – Jacques Ralite, Jean Vilar et Robert Filiou peuvent ressusciter – de l’art pour tous et du décloisonnement.
Intervenant in situ, les artistes collaborent avec les résidents et les soignants, tout est envisageable, la capacité de s’ouvrir à l’autre étant un préalable, chacun opérant « un dépassement de fonction », comme l’analyse joliment Mohamed El Khatib, que Patrick Boucheron décrit dans son texte alerte comme un « infatigable athlète de la tendresse ».
Il s’agit de proposer les conditions d’un déplacement, d’une refondation de la communauté par le geste d’art, d’une audace de rajeunissement par la perspective d’une construction de sens ensemble, tout en bâtissant une collection permanente visible par quiconque (ah les voitures miniatures rassemblées de Raymond Brachet).
« Bienvenu aux Blés d’or, poursuit l’historien ayant relu Ronsard, le cardinal de Retz, Walter Benjamin et Guy Debord, au palais des Rois-Soleil. »
Bonnefrite, Peintre public (2022) © Yohanne Lamoulère / Tendance floue
Les artistes ?
Théo Mercier, en collaboration avec Tiphaine Buhot-Launay, a travaillé à partir de titres de chansons directement écrits sur les bâtiments : Ne me quitte pas / Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai / Retiens ta nuit / Que reste-t-il de nos amours ?
Yohanne Lamoulère, par ailleurs photographe du livre, a créé une tapisserie à partir de photographie d’objets.
Hervé Mayon a fait venir un épicéa de 8,23 mètres et l’a installé dans un patio entouré d’escaliers.
Louise Sari a proposé un autel d’inspiration mexicaine (objets de voyage, statuettes votives, fétiches divers).
Alain Cavalier est simplement sublime, comme toujours : « Je les ai filmés avec un certain délice car j’étais plus âgé que la plupart d’entre eux. Ce qui était extraordinaire, c’est que j’avais le sentiment que chaque visage, c’était moi. Et Dieu sait si j’ai hésité à les filmer. Je me souviendrai de la beauté qui émanait des visages, et des soignantes, la grâce de leurs gestes. D’ailleurs, j’ai demandé à la directrice de me garder une place à l’Ephad. »
Mohamed El Khatib, Objets trouvés (2021) © Yohanne Lamoulère / Tendance floue
Le peintre Benoît Bonnemaison-Fitte a peint ce que les résidents souhaitaient voir représenter : « J’ai fini par prendre deux ou trois tableaux pour essuyer les pinceaux, ce qui a produit un bouquet final de quelques pièces brutes. (…) Tout est classé, rangé, chaque chose est à sa place. Moi, je suis venu participer du désordre. »
Sonia Chiambretto sème à tous vents les messages de révolte à partir d’un prototype de baskets intelligentes ressemblant aux talaria du passeur Hermès.
Dominique Petitgand, créateur sonore, a des principes, ou au moins un – « J’ai un principe, c’est de ne jamais montrer d’œuvres dans un lieu qui n’est pas lié à l’art. » -, mais Les Blés d’or sont vraiment très forts, qui misent sur l’exception.
Mireille Blanc, photographe, travaille à partir des objets des pensionnaires.
Hélène Buffet, résidente, a peint toute sa vie, et continue de le faire contre les vents et marées du grand âge.
Portrait de Charles Second (2021) © Yohanne Lamoulère / Tendance floue
Valérie Mréjen se souvient de René Daumal avec sa pièce Monts Analogues, « montage sériel de reproduction de cartels postales de ma collection sur le thème de la montagne et des routes en lacets. »
Kim Hou & Paul Boulenger sont oufs (oui, oufs), qui ont réalisé une banane upcyclée fabriquée à partir du collectage d’anciennes blouses pour et en collaboration avec les aides-soignantes.
Mohamed El Khatib a collecté quant à lui des objets perdus jamais réclamés par leurs propriétaires.
L’art, c’est l’art, un Ephad reste un Ephad (quel mot affreux), mais ça n’empêche pas de s’amuser un peu en créant ensemble des lignes de fuite et de réappropriation de soi.
Les Blés d’or, textes de Mohamed El Khatib, Valérie Mréjen, Patrick Boucheron, photographies de Yohanne Lamoulère, direction éditorial et artistique Eric Reinhardt, assisté de Camille Cibot, Atelier EXB, 2023, 72 pages
Un projet porté par Malraux scène nationale Chambéry Savoie, l’Ephad Les Blés d’or de Saint-Baldoph et ZIRLIB
Youhanne Lamoulère est membre de l’agence Tendance floue
https://www.yohannelamoulere.fr/
https://exb.fr/fr/home/570-les-bles-d-or.html
Le blog de Fabien Ribery 