
©Tilby Vattard
Kashi est l’ancien nom de la cité multimillénaire du nord de l’Inde appelée aujourd’hui Varanasi, autrement dit Bénarès.
Il s’agit aussi du titre du premier livre autopublié de Tilby Vattard, qui est bien moins un reportage sur cette ville mythique située dans la plaine du Gange qu’une vision intérieure proche de l’initiation hallucinée.
Composé de photographies réalisées entre 2014 et 2019, Kashi tente de rendre compte de l’esprit d’un lieu fascinant, déroutant, et défiant à bien des égards la raison.
Parce qu’il est impossible à circonscrire, parce qu’y brûle depuis trois mille ans un feu sacré emportant le corps des défunts, parce que les ombres y sont vivantes, cet espace de passage vers le royaume des Morts est un défi pour le voyageur occidental.

On est ici dans l’inframonde, qui est aussi son acmé.
Des palais qui tombent en ruine, une impression de grandeur déchue, des gravats et des fumées.
Les êtres ont ici des yeux de feu, ou de fou, ce sont des présents-revenants habitant une autre dimension de temps.
Tilby Vattard photographie une cité semblant sous l’effet d’un sommeil éternel, et très vivante dans les actes qu’elle ne cesse de produire.
Le sacré est palpable, dans la dentelure d’un édifice aux multiples arches ou arcatures, comme dans la façon dont les rais de lumière pénètrent les ténèbres révélant çà et là un visage, une femme portant un sari, un enfant endormi à même le sol.

Le chien que l’on croise est peut-être un démon.
Les chrétiennes aux pieds noirs marchant en file indienne sont-elles réelles ?
A quel heure le coq sera-t-il égorgé ? Qui boira son sang ?
Kashi montre l’implacable loi d’une cité en sursis dans le grand commerce des corps s’échappant en volutes fantastiques.
Par ses tonalités très noires, son travail du clair-obscur et son approche des couleurs, Tilby Vattard témoigne superbement de la réalité d’un monde mystique à portée de mains, de regard, d’odeurs.

Il y a des animaux un peu partout, on ne comprend presque rien, un petit garçon, une ficelle autour du cou, joue à se pendre.
Bénarès est un territoire sacré, très codifié, et ouvert à la transmigration des âmes.
Plane en son labyrinthe une sensation de sacrifice et de lois supérieures intangibles.
Les rues suent, ce sont des peaux enfiévrées.

« ‘Kashi’, écrit avec justesse Caroline Bénichou, directrice éditoriale de ce livre, exerce une forme d’envoûtement. »
Oui, une sorte de maléfice ou de magie noire parée de beauté.
En attendant d’en juger directement face aux tirages, dont on peut pressentir qu’ils seront somptueux.

Tilby Vattard, Kashi, texte et direction éditoriale Caroline Bénichou, autopublication, 2023, 96 pages – 350 exemplaires


https://www.tilby.fr/kashi-le-livre/
Tilby Vattard est représenté par l’agence photographique Plainpicture