Paul Cézanne, seul contre tous, par Mika Biermann, écrivain

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Paul Cézanne, Le Meurtre, 1867-1870

« Le soir, dans sa bonté, est tombé en douceur. Un violet poussiéreux a cédé la place au bleu bateau. Une fraîcheur insoupçonnée monte de la terre. La résine des pins se fige sous l’écorce, les papillons ont fait leur valise, les rongeurs sortent les couverts. Une chouette hôle. »

Quel râleur ce Paul Cézanne, mais quel peintre surtout, intransigeant, tout pour la vision.

Peindre sur le motif, se tacher, être dérangé par les gosses, ou les gueuses, il faut vraiment en vouloir, et même ne vouloir que ça, une surface colorée composée de traits, et de pensée.

Le vent en revanche, c’est bien, qui fait tanguer avec les arbres la palette, et propage le feu.

Avec Trois jours dans la vie de Paul Cézanne, l’écrivain et guide-conférencier au musée des Beaux-Arts de Marseille Mika Biermann (50% de réduction si vous montrez cet article) imagine le destin du grand homme au contact du plus minuscule, et du crime.

On peut peindre des pommes toute sa vie, ou une montagne, ou des baigneuses, mais attention la base est le crime, le suicide, les cris de désespoir dans la maison d’un pendu.

Le genre humain ? une crapulerie.

L’art ? une respiration, un intervalle, un écartèlement entre deux instants viciés.

Chez Biermann, Cézanne, sale, désagréable, infect même, est désacralisé, et pourtant toujours aussi glorieux : c’est une sorte d’intouchable mais d’une caste plus haute que tous les petits soldats du néant occupant les places à responsabilité.

La notabilité, l’artiste connaît, dont le père était banquier.

Jeunes gens des écoles d’art, trouvez-vous vite pour créer en toute liberté une parentèle fortunée, ou, à défaut, inventez-la.  

Les artistes sont des clébards, oui, mais peut-être comme Boudu-sauvé-des-eaux renvoyant la pièce au gommeux cherchant à le subordonner par sa générosité.

Il y a chez Mika Biermann une rage virtuose dans le maniement du verbe, qui touche au vif.

Ecoutons-le, on pourrait ne faire que cela.

« Le peintre – appelons-le Paul – sort de son atelier et ferme la porte à clef. C’est un vieil homme à la moustache épaissie par la morve, à la barbe raide de graisse de mouton, à la corolle de cheveux blancs s’écartant des oreilles comme les orties s’écartent du chou-fleur, aux dents gâtées par l’insouciance du fumeur, aux yeux chassieux où les images du monde ne rentrent qu’à reculons. »

A partir de maintenant, le peintre Paul Cézanne, supposons-le tel, s’appellera Peintre Paul.

« Le sentier grimpe vers les crêtes, de rocher en rocher. Peintre Paul sue sous les couches de grosse toile, mais il n’enlève pas sa veste. Stoïque, comme Hannibal traversant les Alpes ou Burton à la recherche des sources du Nil. Tout au plus il sort son pénis pour arroser un roc d’urine. Les fourmis, agacées, détalent. Il remballe son engin, rajuste son barda et continue son ascension. »

Je ne sais pour vous, mais j’aime bien me représenter le pénis de Paul Cézanne, ce petit, ou gros, pinceau goûtant l’air frais.

Tiens, voici le docteur Gachet, qui interroge le maître.

Alors les dents ? les hémorroïdes ? les brûlures d’estomac ?

Peintre Paul n’aime pas qu’on s’attarde sur les douleurs du corps. Le sanglier se plaint-il d’un cor à la patte ?

Et les filles, cher ami ? ça va de ce côté-là ?

« Peintre Paul n’était pas puceau, il s’était même marié. C’était moins cher que payer un modèle. Il appelait sa femme « le boulet ». Avec Hortense, jamais un mot. Dans la chambre ils ressemblaient à deux ouvriers qui ne savaient pas où poser leurs outils. Un chien et sa chienne y mettaient plus de sensualité. (…) Chez les paysans, on tapait joyeusement sur des culs rebondis, on jurait, ravi, on battait le beurre. Chez les bourgeois, on pinçait les joues, on déchargeait entre les seins, on mettait un doigt. Le maquignon giflait sa catin, elle se jetait à son cou. Le marquis se faisait attacher aux montants de son lit par la demi-mondaine. Le boulanger, rouge de plaisir, bavait sur la poitrine de la laitière. Paul et Hortense se cognaient dans le noir, firent un fils sans le faire exprès, et cessèrent bientôt, avec un certain soulagement, tout commerce charnel. »

Peindre est une activité engageant l’entièreté de la matière vitale, spermatique en quelque sorte.

Ne souhaitez pas trop vite que Peintre Paul fasse votre portrait, il se pourrait bien que vous en mourriez quelques jours après.

Mais c’est la guerre, un Prussien viole et tue la première femme qu’il croise.

Morte, allongée sur la terre, sans culotte, on dirait du Marcel Duchamp (Etant donnés).

Passe le bon Renoir, incapable de comprendre le mal.

C’est métaphysique, lui répond Peintre Paul.

Une chouette hôle.

Mika Biermann, Trois jours dans la vie de Paul Cézanne, Anacharsis, 2020, 94 pages

http://www.editions-anacharsis.com/Trois-jours-dans-la-vie-de-Paul-Cezanne

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