Still Fantasy, inconscient dégondé, par Absalon Kirkeby, photographe

©Absalon Kirkeby

L’écriture de la lumière, telle est, vous le savez, la photographie.

Ecriture de vibrations.

Ecriture d’ondes.

Cette définition, l’artiste danois Absalon Kirkeby en a fait l’absolu d’un livre évoluant entre abstraction et aspect documentaire de l’image.

Publié par la maison d’édition indépendante Disko Bay (Copenhague), Still Fantasy est un kaléidoscope prenant littéralement le thème de la lumière comme axe directeur.  

©Absalon Kirkeby

L’œil suit des rais colorés, la fente apparaissant dans le cadre de vision.

Ce peut être une sente colorée, une ligne de lave, une marque de chaux.

Le regard d’Absalon Kirkeby est celui d’un plasticien attentif à la vie des formes, à leurs incongruités, à leur puissance révélant un ordre supérieur.

Il y a du surréalisme chez lui, et des vues semblant issues d’un psychisme dégondé.

©Absalon Kirkeby

Ce triangle est un ring, mais aussi une toison féminine, métaphore agissante jusque dans l’entaille d’un tissu offrant sa doublure de secret.

Il ne s’agit pas pour Absalon Kirkeby d’utiliser servilement le médium photographique, mais d’en explorer toutes les possibilités, notamment dans le traitement numérique des images.

Ne pas s’enfermer dans un seul régime d’image, mais suivre ses dérivées, ses métamorphoses, créer des énigmes.

Le chardon poussant dru côtoie une flaque pétrole polychrome, les palmiers dans la nuit – on dirait du Bernard Plossu – la surface bleue de quelque Rothko nordique.

©Absalon Kirkeby

Lorsque la raison peine à se repérer, le photographe ménage des pauses, et c’est alors l’apparition d’un drôle de triporteur – l’onirisme est ici force structurante -, une volaille écrasée, un mur de briques.

Still Fantasy invente des possibilités d’enchantement, le dialogue inouï entre la mécanique monstrueuse – mais quel peut être son emploi ? – et la bouche d’aération, une ombre féminine et un fouillis végétal.

On pense à Deleuze, aux rhizomes et à l’inconscient machinique, aux mille plateaux où faire danser le sens.

Rien n’est facile dans ces tableaux de lumière, et la phrase se heurte à ce qui échappe à la nomination.

©Absalon Kirkeby

Cette tension interprétative fait tout le prix de cet ouvrage de libre pensée visuelle.

Il y a aussi dans la conversation discrète entre les choses de l’absurde conduisant à la drôlerie, un aspect farcesque très réjouissant.

Les pages dialoguent en un langage perturbant la rationalité ordinaire.

A chacun de suivre le fil arachnéen reliant la pensée à la stupeur, l’inventivité de trois bouts de bois associés aux pieds de fer d’une pelleteuse.

Tout ici est fenêtre et brouillage, fausse piste et flèches indicatrices.

©Absalon Kirkeby

Absalon KIrkeby construit par son editing sans concession une liturgie profane intense pour temps de catastrophe.

Ça tranche, ça s’effrite, ça s’enracine, ça pèle, ça solarise.

Ça se compose, décompose et recompose.

Il faudrait pour accompagner le diaporama des images de ce livre une musique hypnotique, un peu comme celle qu’invente l’Américaine Alyssa Moxley pour le collectif Temps Zéro.

Still Fantasy déroute, met au défi la faculté critique, et demande de passer de l’autre côté du miroir, là où tout est neuf et où tout se récapitule.

Comme dans une expérience de mort imminente.

Absalon Kirkeby, Still Fantasy, design Louis Montes, Disko Bay, 2022, 216 pages – 750 exemplaires / 25 artist edition

https://www.diskobay.org/books/still-fantasy/

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