
©Flora Mérillon
Les lieux sont situables – Gaspésie, île d’Anticosti, golfe du Saint-Laurent au Québec -, et l’époque, à peu près aujourd’hui.
Pourtant, Flora Mérillon n’aborde les rivages du hic et nunc que pour en révéler, selon la logique de la non-séparativité, la dimension d’atemporalité et d’universalité.
Ses paysages sont d’abord intérieurs, témoignant du remuement des arbres en soi, et des montagnes, et des ciels immuables, ou déchirés soudain par une lumière venue de très loin.
Par l’utilisation du procédé de la photographie instantanée, Flora Mérillon rend compte de la précarité des formes du vivant comme du visible, de sa propre présence comme de celle des espaces qu’elle traverse, donnant l’impression de soulever les voiles de la maya.

©Flora Mérillon
Il y a un territoire plus profond que la réalité mesurable, plus mystérieux, plus déterminant.
Il est peuplé de spectres, d’éblouissements étranges, d’eaux faussement étales, de blancheurs.
Ces monts enneigés, ces nuages bouleversés, ce ciel serpentant sur la mer glacée, ce sont des personnes, des entités organiques, des animalcules d’intelligence supérieure.
La photographe apparaît, pieds nus sur les cristaux adamantins, robe immaculée, longue chevelure noire.
C’est un mirage de douceur.

©Flora Mérillon
Dans l’inversion des polarités, devenu Orphée, le spectateur regarde une Eurydice fantasmatique, en espérant qu’elle ne se retourne pas, ou pas trop vite.
La déité ouvre sur son passage la toison d’un fleuve que le gel n’a pas tout à fait figé.
Proches du rien, gagnés par les craquelures de l’éphémère, les images de l’artiste française invitent à l’introspection comme au dépassement des vieilles antinomies.
Ce sont des possibilités de jouvence, des jubilations très intimes dans l’épreuve de ce qui demeure dans l’effraction, et persiste dans l’éternel retour du même.
Comme des grâces.
Comme des chemins qui ne mènent nulle part, ou vers le cœur des forêts obscures.

©Flora Mérillon
Publié par les éditions Loco avec beaucoup de délicatesse, dans un format italien faisant songer à un carnet d’esquisses, Le gel – L’île est un livre de grande beauté, habité par le sentiment poétique d’être au monde.
Tout y est muet de parole fondamentale, une table dans un modeste logis, une branche échouée comme un naufragé de mythologie, un cerf.
L’animal nous observe, roi des bois, roi du Temps.
Il y a des enfants, probablement nés des rochers, ou des étangs, ou des arbres effondrés après quelque tempête d’équinoxe.
Dans le texte accompagnant l’ouvrage, Léa Bismuth écrit : « Je laisse défiler les images de Flora Mérillon et un mot me vient, ou plutôt un verbe conjugué au participe passé et au féminin. Ce mot, celui qu’il faudrait peut-être prononcer à voix extrêmement basse, ou écrire en très petit sur la page, ce mot, c’est abandonnée. »
Accepter l’abandon pour accéder à la souveraineté.

Flora Mérillon, Le gel – L’île, texte Léa Bismuth, Editions Loco, 2023, 124 pages – 400 exemplaires

©Flora Mérillon
http://www.editionsloco.com/Merillon

©Flora Mérillon
Exposition Flora Mérillon chez Loco (Paris), du 13 avril au 17 mai 2023