Libre et fraternel, par Marc Riboud, photographe

Lyon, France, 1950, extrait de Marc Riboud, Au long cours (Atelier EXB, 2023) © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au MNAAG

« Marc Riboud est un photographe aérien et terrien / un guetteur de l’humain / il nous offre l’inaperçu de la réalité / un impensé du monde où songe et méditation / s’enchâssent / dans un perpétuel ballet » (Eric Fottorino)

Il est passionnant d’essayer de comprendre le regard d’un grand artiste, ses périodes, ses continuités, ses métamorphoses, ses lignes de forces structurantes.

A l’occasion du centenaire de la naissance de Marc Riboud (1923-2016), célébrée par une exposition en cent images au musée des Confluences, à Lyon, d’où le photographe est originaire, les éditions Atelier EXB ont conçu un livre qui n’est pas un catalogue mais une exploration – sans séquençage thématique affiché, ni ordre chronologique imposé – d’une œuvre exceptionnelle.

L’ouvrage Au long cours comporte des inédits, notamment de photographies réalisées dans les Alpes dans les années 1940 et à New York au début des années 1950.

Marc Riboud, entré à l’agence Magnum en 1953, a parcouru la planète, de l’Alaska à l’Asie, jusqu’à l’Extrême-Orient – souvenir de la très belle et ample exposition de 2021 ayant eu lieu au musée Guimet, à Paris, où sont conservées ses archives -, de l’Afrique à Cuba, et partout ailleurs.

La Havane, Cuba, 1963 / Havana, Cuba, 1963, extrait de Marc Riboud, Au long cours (Atelier EXB, 2023)
© Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au MNAAG

Il documente des moments historiques – grèves des dockers en 1954 en Grande-Bretagne, indépendance de l’Algérie en 1962, Nord-Vietnam en 1969, révolution islamique en Iran en 1979… -, sans jamais oublier d’admirer la différence des peuples et de se laisser toucher par tout ce que la vie offre de surprises, au Ghana, à Paris, comme au Japon.

S’ouvrant par des planches-contacts permettant d’observer la façon dont le photographe circonscrit son sujet et maintient toujours une juste distance – éthique de la proxémie – avec ses personnages, Au long cours, laissant le spectateur libre d’interpréter telle ou telle image, enchante par sa sensibilité.

La vie est pour Marc Riboud vibration, rythmologie, musique.

Ses Alpes pourraient être un désert mauritanien, ou des îles bretonnes, ou quelque astre errant, le photographe cherchant l’unité dans la diversité, et l’autre dans le même, à la façon des poètes.

Ses points de singularité sont des ouvertures d’universalité, son noir et blanc est un partage.

Tout est corps chez ce marcheur recevant le monde avec empathie, un lac italien comme un ensemble d’immeubles, un enfant plongeant dans l’eau comme un antique à Paestum, ou un groupe humain prenant le soleil.

Marc Riboud est sensible à la chorégraphie naturelle des êtres dans l’espace, un dormeur, des gamins des rues, des lecteurs dans un parc.

Lutteurs, Téhéran, Iran, 1955 / Wrestlers, Tehran , Iran, 1955, extrait de Marc Riboud, Au long cours (Atelier EXB, 2023)
© Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au MNAAG

Il y a des essais formalistes aussi chez lui, des points de vue vertigineux, une étude étonnante des arches de pierre ou de fer dans un territoire urbain.

Marc Riboud est-il un photographe de la tradition humaniste ? Evidemment, mais peut-être davantage encore néo-réaliste, et même aussi, par son humour et ses associations surprenantes, surréaliste.

Pas d’enjolivement, du fait brut, mais toujours abordé avec un sourire intérieur, presque, j’ose l’écrire, bouddhiste.

La banlieue n’est pas triste. La misère est là, oui, mais aussi une énergie formidable, surtout de la part des enfants à qui l’espace public appartient encore.

Marc Riboud montre moins la solitude, que la fraternité, la tendresse, la dignité, cette common decency analysée si bien par George Orwell.

Le peuple des travailleurs est là, occupant la page, en Chine comme à Liverpool, l’artiste ne faisant jamais peser le chic de l’art sur le respect des individus.

Ses paysages relèvent de l’usage du monde cher à Nicolas Bouvier : bouffées de bonheur face à tant de splendeurs, naturelles ou de construction humaine, dilution du moi, ascèse, picotements de réveil intérieur.

Les photographies indiennes sont peut-être parmi les plus réussies, tant elles s’approchent d’un mystère fondamental que soulignent les jeux d’ombres et de lumière dans le mandala du vivant.

Minneapolis, États-Unis, 2006 / Minneapolis, USA, 2006, extrait de Marc Riboud, Au long cours (Atelier EXB, 2023)
© Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au MNAAG

Le monde disparaît chaque jour, nous pouvons tous le constater, mais avec Marc Riboud, c’est comme s’il pouvait ressusciter encore et encore, et qu’il n’était pas vain d’avoir vécu.

Aux enfants d’aujourd’hui qui ne croient plus en l’avenir, il faut montrer un tel regard, un tel engagement du corps dans la vastitude des événements historiques et des micro-faits, une telle conscience de la beauté comme valeur d’union par-delà nos différences stigmatisées par les massacreurs de toujours.   

On ouvre Au long cours, on choisit une image, on s’y promène du regard, on y dépose la meilleure part de nous-même parce que l’on y est pleinement en confiance.

Nous avons des traits humains, mais demain nous seront un arbre, un atome de ventilateur, ou une tombée de neige.

En fin d’ouvrage, le journaliste et écrivain Eric Fottorino a imaginé un poème pour s’approcher au plus près du regard du photographe, et c’est, dans l’avalanche des vers, un éloge du départ comme de l’énigme d’être qui l’on est.

« La photo lui sauve la vie / La photo devient sa vie / Un objectif en main, il a un but : / capturer des visages, des regards / voir les autres pour s’oublier soi / aimer le monde faute de s’aimer en premier / à moins qu’il veuille donner raison à Kafka : / ‘On photographie des choses / pour se les chasser de l’esprit’ »

Marc Riboud, Au long cours, texte Eric Fottorino, édition Nathalie Chapuis avec la complicité de Philippe Séclier, assisté de Camille Cibot, conception graphique Coline Aguettaz, Atelier EXB, 2023, 232 pages

https://exb.fr/fr/le-catalogue/571-au-long-cours.html

Ouvrage ayant reçu le soutien de Pascal Duhamel

Exposition Marc Riboud – 100 photographies pour 100 ans, Musée des Confluences, Lyon – du 24 février au 31 décembre 2023

https://www.museedesconfluences.fr/fr/expositions/expositions-temporaires/marc-riboud

https://www.galerielereverbere.com/presses/carnet-photo/Carnet27.pdf

https://www.leslibraires.fr/livre/21718116-marc-riboud-au-long-cours-eric-fottorino-xavier-barral?affiliate=intervalle

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Michel Cresp dit :

    Mon bonjour à Fabien Ribery, et toute ma gratitude et mon admiration pour ses chroniques sensibles, intelligentes et raffinées que je lis régulièrement.
    Une réaction à celle sur Marc Riboud. Je suis photographe professionnel et aussi personnel…, passé comme lui par l’école de Vevey en Suisse. La fin de votre chronique n’est pas en accord avec ce que je crois, issu de plus de 50 ans de pratique :
    On ne photographie pas les autres pour s’oublier soi-même, on fait partie des autres, du monde, si on ne s’aime pas on aime personne ou on est névrosé, et si on s’intéresse aux choses – objets, humains, atmosphères, tout est « chose » autrement dit « sujet » – c’est pour mieux les comprendre, en faire une partie de nous mêmes (je ne parle pas de photographies de commandes mais de recherches personnelles, comme l’a fait Marc Riboud, détaché de beaucoup de contraintes financières), et finalement je pense que l’on ne photographie jamais que soi-même à travers le choix de différents sujets et la manière de les aborder, de communiquer avec eux, de chercher et de respecter leur vérité. Ce n’est pas pour se « les chasser de l’esprit » mais tout au contraire pour que ces « choses » viennent enrichir notre esprit, notre vie. Les images ne sont rien, seul le vécu compte finalement.
    Bien à vous
    Michel Cresp

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s