
©Antonio Guerra
Intitulé de façon oxymorique, La luz que nos ciega (La lumière qui nous aveugle) est un livre photographique de Antonio Guerra sur la ruralité, loin de la pastorale et du rêve idyllique des citadins fantasmant un retour paisible à la nature.
Nous sommes dans l’Espagne intérieure, dans un environnement déroutant et menaçant, douloureux et malade, pulsant de vie et marqué par la mort.
Il faut ouvrir les pages au coupe-papier, les blesser pour les libérer, en faisant sourdre leur suc sombre, subtil et fétide.
Mais il y a aussi de la merveille dans les ténèbres, une dialectique de la cruauté et de l’éblouissement, comme chez Elie Monferier.

©Antonio Guerra
L’atmosphère générale est donc double, à la fois de désastre et d’illumination, d’absence et de présence écœurante.
Nous sommes, une fois levée la couverture ivoire, dans quelque contrée lointaine, mais aussi dans des zones psychiques où le grand air rejoint la claustrophobie.
La pierre est de chair humaine, le torse d’un homme est d’argile.
Tout est nuit, archaïque, archéopoétique, formes sublimes et inquiétantes surgies du néant.

©Antonio Guerra
Un cheval vert dort, simplement éclairé d’un rai de lumière, touchant à la page suivante le sommet d’une montagne, puis un ange priant sur le faîte d’une chapelle effondrée, comme un ultime espoir.
Dieu n’a pas abandonné la petite race humaine, sa lumière est plus que jamais, alors que croît une menace d’extinction, résurrectionnelle.
Structuré par la puissance des ombres et des objets tranchants du labeur paysan, La luz que nos ciega se situe du côté du sacrifice, et de la grâce.

©Antonio Guerra
Un corps nu androgyne se baigne, c’est un baptême.
Le lit de la rivière est un rêve de montagne où flottent des créatures étranges.
Les nuages de glace exhalent du soufre, alors que le gypaète barbu étend ses ailes noires.
Les mitochondries scintillent, le big bang a lieu a chaque instant, l’araignée du temps nous avale lentement.

©Antonio Guerra
Les fossiles sont-ils d’hier ou de demain ?
Qui a volé le feu et tué le premier enfant du règne animal ?
Où est passée la cognée ?
Ça craque, ça sèche, ça éclate.
La nuit a des cheveux bleus.
Est-ce ainsi que les taureaux de combat voient l’architecture du vivant et les derniers des hommes ?

Antonio Guerra, La luz que nos ciega, design underbau, Dalpine (Madrid) / Kursala (Cadiz), 2022, 100 pages – 750 exemplaires

https://www.dalpine.com/products/la-luz-que-nos-ciega-antonio-guerra
