
©Serge Airoldi
« Nos âmes froides fument comme l’urine drue des ânes dans le pré gelé » (Rose Hanoï)
Les journées sont glaciales, on annonce des paralysies faciales, des engelures graves, des lèvres explosées et des cerveaux encore plus figés qu’à l’accoutumée.
Pas de problème, la solution est simple – nécessitant le bon approvisionnement de votre pharmacie de quartier -, vous ouvrez le dernier numéro de la revue Phoenix, dont le dossier principal est consacré à l’écrivain Serge Airoldi.
Vous allez directement à la page 33, et découvrez un entretien de « ce chien de lisard » (Stendhal, Le Rouge et le Noir) avec François Bordes, dont l’effet est proche de celui d’un chalumeau pointé sur une banquise.

©Serge Airoldi
Le monde est une vallée de larmes, certes, mais il y a les livres qu’un adolescent né à Auch peut ouvrir sans relâche, rugbyman et fou de mots, de phrases, de pages lui offrant le franchissement des seuils, ou les voies de l’émancipation.
Serge Airoldi a tout lu, les Espagnols, les Italiens, les classiques, les contemporains, les Antiques et les manuscrits qui annoncent demain.
Maxime transmise à tous les jeunes poètes rilkéens, et les procrastinateurs littéraires : « Pour écrire, il faut avoir vécu et lu. »
C’est un beau jour pour mourir, disent chaque matin les Cheyennes, donc pour écrire, prolonge Serge Airoldi.
La langue se conquiert, le vocabulaire est un archipel superbe et étrange : « spélonque », « coruscant », « térébrant »…

©Serge Airoldi
Premier livre, Des chevaux, publié à La Fosse aux Ours (Pierre-Jean Balzan, Lyon).
« Depuis 2004, j’ai enchaîné de façon compulsive, en écrivant parfois plusieurs textes en même temps. Cela a toujours fonctionné selon cette cadence. (…) Je prends l’exemple de mon dernier roman, L’Epreuve (Inculte). J’y pense et j’y travaille, certes par intermittences, mais depuis plus de vingt ans. La question du livre est un flot perpétuel, une sorte d’ostinato qui prend forme tantôt d’une façon, tantôt d’une autre. Comme une vague, un flux, un reflux, une baïne comme on dit chez moi de ces pièges de l’océan. Comme d’incessantes marées, de remarquables lunaisons, d’incroyables vents à la surface de la terre. »
On pense ici à l’univers fondamentalement poétique d’Edouard Glissant, Serge Airoldi, habitant de Dax et de quelques Andalousies du cœur, est à n’en pas douter créole, ou breton, ami de Michel Le Bris et de tous les navigateurs aux étoiles.
« La nécessité, poursuit-il, est d’être en tension. Je brasse, je brasse, l’eau active le moulin, le moulin sollicite l’eau, je suis tout le temps dans le désir d’un livre, désir illusoire, qui plus est, d’un livre à la Marcel Proust, à la Robert Musil, à la Truman Capote, désir insensé d’un livre-monde. »
Ce livre-monde possède déjà quelques très beaux chapitres (liste non exhaustive) : Le Veilleur de Matera (La Fosse aux Ours, 2006), Comme l’eau, le miroir changeant (Fario, 2010), Les Roses de Samode (Cheyne, 2011), L’Adour, histoire fleuve (Le Festin, 2013), Ma route est un pays où vivre me déchire (Fario, 2014), Partir avec le zèbre (L’Arbre à parole, 2014), Rose Hanoï (Arléa, 2017), A la brunante (La Tête à l’envers, 2017), L.P.P. (avec Lydie Arrickx, Fario, 2019), Micmac Mecanic (L’Attente, 2019), Si maintenant j’oublie mon île (L’Antilope, 2021), Ultima Stella (traduction des poèles de Novella Cantarutti, Fario, 2021), insula bartleby (Louise Bottu, 2022), Le dernier carré (Pneumatiques, 2022), Bernard Manciet : laudes aux landes (avec Olivier Deck, Le Festin, 2023), Sept suites (Bruno Guattari, 2024)…

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Serge Airoldi, qui dirige par ailleurs la collection « Pour dire une photographie » aux éditions Les Petites Allées, possède un esprit – dont a témoigné dans une précédente vie son acuité de journaliste – désirant embrasser l’ensemble des connaissances, des faits, des volumes de la bibliothèque, afin de les faire chanter, de les mettre en relation, de les éclairer mutuellement.
Une mémoire considérable donc, et un travail de fond sans relâche.
« C’est pharamineux de réaliser qu’il n’y a qu’à regarder autour de soi – lire – et cueillir tous les fruits merveilleux aux branches qui s’offrent à celui qui voudra bien accomplir cette cueillette. Soudain, vous lisez un texte de Charles Nodier, Baudouin de Bodinat, Henri de Régnier, Léon Bloy, Novalis, James Joyce, Piotr Kropotkine, Ralph Waldo Emerson, Nathaniel Hawthorne, Ludwig Wittgenstein, George Orwell, Simone Weil, Robert Bolano, Thomas de Quincey, Thérèse d’Avila, Georg Christoph Lichtenberg ou de tant d’autres… et soudain leurs bougies magiques éclairent absolument tout ce que vous bredouilliez maladroitement dans votre coin obscur avec l’obstination de l’artisan dépourvu de talent pour équarrir vos petits livres, essayer d’organiser votre idée malingre, votre misérable réflexion, et pour enfin cesser de remâcher le micmac comme nous prévient de le faire James Joyce. »
Son ami Claro commente : « L’énoncé airoldien ne remorque pas, il draine. »
Son amie Lydie Salvayre affirme : « Car sa mémoire est vaste. Sa mémoire est ouverte. Sa mémoire est affamée. Sa mémoire est généreuse et hospitalière et compassionnelle. Sa mémoire est polyphonique. »
Son amie Florence Delay analyse : « Pas un livre d’Airoldi qui ressemble à un autre. Il va de genre en genre sans se poser. Mais que le livre ait dix ou plus de trois cents pages on reconnaît l’auteur. »
Son ami Pierre Vilar étudie : « Quatre figures de ce mouvement pourraient se dégager à la lecture des plus de vingt livres de volume dépareillé, mais de nature appareillée, qui ont été publiés sous son nom. Aux quatre vents : le trajet, la mémoire, le divers, l’histoire. »
Serge Airoldi écrit – c’est un inédit : « Un silex empêtré, fossile d’une plus grand’ roche Angkor. Le temps s’en va madame, le temps s’en va, même le travertin, la pierre de Tivoli, pas les gours et les areines et les trufières, mais le tamtam de tant de temps. L’idiophone. Les morts baîllent, la draille s’endort, les sphérulites, et une fois, les cathédrales s’engloutissent. Demain ne sera pas un jour autre mais un affleurement & la fontaine de rustique amour, il écrivait de Casarsa, – un, pauvre abreuvoir pour ingurgiter la langue morte. »
Où se lève l’hypothèse d’un baroquisme airoldien, qui est l’un des noms de la liberté.

Revue Phoenix, dossier Serge Airoldi, n°40, 2023, 242 pages
https://www.revuephoenix.com/phoenix-n-40-a-paraitre-le-29-novembre-2023/