L’Evangile selon Philippe, par Philippe Sollers, écrivain

L’Etreinte, Pablo Picasso, 1969

« Je comprends pourquoi je suis devenu un spécialiste des contiguïtés. La première vie évoque souvent la Deuxième, soit par de grands silences solennels, soit par des éclairs d’une rare intensité. Le Deuxièmiste parle avec une jeune amie, mais ce qui apparaît, sous ses yeux, est un futur et gracieux squelette. Une autre fois, c’est bien lui qui allume une cigarette en plein soleil, au bord de la tombe dont il vient de sortir, pendant qu’un touriste lui demande s’il est le jardinier du cimetière. »

On a cru entendre le Spectacle annoncer en mai dernier le décès de Philippe Sollers, mais bien entendu rien n’était plus faux, l’écrivain joueur étant passé dans La Deuxième Vie, en corps, et rire, et gloire, depuis bien longtemps.

Mais qu’est-ce donc que la deuxième vie ?

L’écriture sans ressentiment.

La traversée de la mort de notre vivant (relire toute la bibliographie du Vénitien).

Une électricité atemporelle.

Des pointes d’illumination s’élargissant.

Une guérison radicale.

La liberté supérieure, rose de la raison dans la croix du présent (épitaphe sur la tombe de l’écrivain à l’île de Ré).

Il faut comprendre que la deuxième vie ne vient pas après, ou pas seulement, ou pas forcément, elle est déjà là, au quotidien, pour qui a su mourir plusieurs fois à lui-même, dans un combat spirituel sans merci.

Pas de moraline, pas de pathos, pas de glu, mais des Lumières, du secret, et la protection des femmes, essentielle (nom de code en ce roman Eva).

Pas celles qui se biologisent à outrance, mais les fées de toujours, sœurs et amantes et présences ancillaires favorables.    

La France possède la plus riche bibliothèque du monde – savoir sur la substance féminine, le discours amoureux, la révolution -, qui en a pris, hormis Sollers et quelques apôtres, conscience ?

Pour entrer dans la deuxième vie, il y a les pilules spéciales, ou le bonheur, force d’unité dans l’ouverture.

J’ai rappelé plusieurs fois la dimension gnostique de l’œuvre de Philippe Sollers, qui est triomphe de la singularité enfantine, à volonté.

Poursuivre sa mission, son vœu.

On peut lire ceci en conclusion de l’Evangile selon Philippe, texte apocryphe trouvé dans la bibliothèque de Nag Hammadi (Egypte) en 1945 : « Si quelqu’un devient enfant de la chambre nuptiale, il recevra la lumière. Si quelqu’un ne la reçoit pas alors qu’il est ici-bas, il ne la recevra nulle part ailleurs. Qui a reçu cette lumière-là ne pourra être vu ni ne pourra être pris. Et nul ne pourra tourmenter une telle personne, même lorsqu’elle séjourne dans le monde, ni même lorsqu’elle quittera le monde ; elle a déjà reçu la vérité en images. Le monde est devenu l’éon, car l’éon est pour elle plénitude. Et il est ainsi : il est révélé à elle seule, non pas caché dans les ténèbres et la nuit, mais caché dans un jour parfait et une lumière sainte. »

Se cacher dans le jour, n’est-ce pas là acte stratégique sollersien majeur ?

Picasso, « énergie super-quantique », ambassadeur de la deuxième vie, peint à près de quatre-vingt-neuf ans, une Etreinte renversante, renversée.

Philippe Sollers, comme lui, est entré dans le néant, né-ant, ne cessant de disparaître pour naître.

Coda : « Si j’en crois la Théologie, j’ai droit, après ma résurrection, à un Corps Glorieux, dont je connais les principaux caractères : impassibilité, clarté, agilité et subtilité. J’ai beaucoup travaillé sur l’impassibilité dans la première vie, à cause de la maladie. La clarté me paraît naturelle, l’agilité est ma spécialité, la subtilité me permet de traverser sans effort toutes les matières dures et brûlantes. »

Philippe Sollers ? La subtilité de l’Esprit.

En postface, dans un texte éblouissant, Julia Kristeva, confie : « Son état s’aggrave. Lumineux regard qui prolonge la pensée dans les combats du corps, ultime signe du sacré : « Je pars. » L’iris marron s’assombrit, presque « outrenoir », comme dans la toujours présente Etreinte. Le blanc de l’œil disparaît, rien que l’irruption d’une énergie noire, inhumaine, étreinte absolue. Je m’entends dire : « Avec toi. » Philippe se tourne vers le cahier, sa voix frémit : « C’est tout, c’est bien. On part ? » Je confirme : « On part. » Plus tard, j’ai retrouvé cet accord déjà scellé dans L étoile des amants (2002). »

Ensemble, voyageurs du temps et du multivers.

Philippe Sollers, La Deuxième Vie, postface de Julia Kristeva, Gallimard, 2024, 76 pages

https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Philippe-Sollers

https://www.leslibraires.fr/livre/23230708-la-deuxieme-vie-philippe-sollers-gallimard?affiliate=intervalle

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Marilyn COURTE dit :

    Quel Joyau !

    J’aime

Laisser un commentaire