Partage du feu, par Linda Tuloup, photographe

©Linda Tuloup

Linda Tuloup possède l’art d’animer le feu, en livre (chez André Frère), en exposition (chez Olivier Watman), et maintenant en revue, Argument (direction François Beauxis-Aussalet) lui ayant offert une carte blanche pour inviter autour d’elle d’autres ardents.

Une revue ? ou plutôt un album cartonné aux pages de papier glacé, ouvrage solide, écrin contenant des gestes d’incandescence, et les réponses des artistes à cette question : Quel est votre feu ?

Un trésor.

©Sabatina Leccia

Mais que découvre-t-on dans les polaroïds brûlés de l’artiste ouvrant et terminant ce volume pensé comme une cérémonie, ou un geste opératique ?

Des galaxies, des cosmos mauves, des pierreries percées de bulles d’air, les contours brûlants du désir, une femme se consumant pour renaître, en traversant l’épreuve de sa chair enflammée.

©Bruno Perramant

Linda Tuloup célèbre avec Maurice Blanchot le principe même du feu, vital, intime, érotique : « Ce qui brûle n’est jamais détruit. »

Mais que voit-on au cœur du volcan ?

Les photographies de délicatesse extrême d’un bal regardé par le Suédois Martin Bogren (série August Song) : images où la lumière caresse des spectres, des corps qui se frôlent, les tentures d’une scène onirique.

©Fabien Chalon

Une installation de Fabien Chalon, néon (Where does light go ?) et visages naissant dans un athanor paradoxal d’eau et de brumes, comme les fragments rescapés d’une mémoire très ancienne.

Les photographies d’un assembleur de nuées, Hervé Baudat, entre autoportrait au cigarillo, paysages griffés, natures mortes sublimes de roses défuntes, et visages d’infantes d’autant plus belles que le temps commence déjà à les réduire en cendres.

©Martin Bogren

Les forêts et objets incendiés de Magdalena Lamri, dessins au fusain d’un monde terminal, dont on peut penser qu’il faut qu’il soit entièrement détruit pour permettre sa régénération.

Les mots de Valentin Retz relatant une expérience de martyre par le feu : « Durant deux longues années, le pourtour de mes yeux, mes pommettes, mes tempes, mais également, et curieusement, le bas de mes chevilles, ont grillé nuit et jour sur l’autel de mes nerfs. Je me suis consumé en un lent sacrifice. J’ai couché sur des braises. J’ai hurlé dans le feu. Et ceci, sans explication. A telle enseigne que j’ai pensé à maintes reprises que je goûtais par avance un peu des flammes métaphysiques qui sont censées épurer les âmes du purgatoire. »   

Les tableaux vibrant de couleurs et d’énigmes de Jérôme Borel, où les corps donnent la sensation d’apparaître/disparaître sous les couches de peinture : langues de feu, traces de sang, cuisses ouvertes d’une femme étendue sur le vert, visions de la mort comme un accouchement, moments de métempsychose.  

©Jérôme Borel

Les sculptures de volupté étrange de l’Iranienne Yosra Mojtahedi, qui sont des machines désirantes, des paysages mentaux, un monde premier de pouzzalone noire, lave réduite en poussière, d’où naissent les dieux comme les humains.

Une partition de Gael Rakotondrabe, artiste que Linda Tuloup présente ainsi, magiquement : « On dit qu’il vient de La Réunion, mais je pense qu’il vient du même endroit que le vent, les étoiles, le feu. Sa musique ne s’arrête pas, elle reste. En l’écoutant, nous devenons les passagers de cette lumière fragile qu’il sait si bien faire vibrer. (…) Comme l’artiste Giuseppe Penone révélait la musique des arbres, Gael Rakotondrabe révèle celle du feu. »

Le feu liquide des phrases de Colin Lemoine imaginant le voyage de Pierre-Jacques Volaire vers Naples, pour contempler et peindre le Vésuve en éruption : « Puis il y eut cela, un soir de mai, et dans cet ordre : au loin des cendres pareilles à des lucioles, autour de l’éminence une clarté aurorale, des hoquets éclatants issus du cratère. La terre trembla comme une femme sans harnais. »

©Gao Bo

Gao Bo, regarde la mort en face, douze visages de condamnés chinois, hommes et femmes, qu’il sauve du supplice en inventant une prière d’idéogrammes et de feu par un dispositif de cendres, de bois, de photographies, comme un rite de passage immémorial : « Mon feu, énonce-t-il, est de réduire en cendres les péchés jumeaux de l’humanité et de leur donner la dignité qu’ils méritent. »

Bruno Perramant se souvient quant à lui des révolutionnaires/pénitents/frères d’âme tournant sans fin dans la nuit et se consumant par le feu, de l’INRI chrétien au palindrome In girum imus nocte et consumimur igni repris en texte et film par Guy Debord, qui devient une peinture de feu, de mystère, de Saint-Esprit, d’embrasement du ciel, de transfiguration du néant.

Les paragraphes de Sandrine Treiner inventant sous la voix calme de son personnage, Sandie Salter, comme un contre-feu au feu ravageur de Mann Gulch (5 août 1949), dans le Montana, tragédie ayant causé la mort de jeunes pompiers volontaires (lire Young Men and Fire, de Norman Maclean), alors que la Californie brûle comme un brasier d’enfer, et que l’amour est cette fraîcheur brûlante capable de transformer l’incendie du paysage en eau de jouvence intérieure.      

©Léna Maria

Les photographies d’or, de feu, d’eau et de sable de Léna Maria sont comme les étapes d’un conte initiatique préservant ses énigmes.

Points de brodeuse, fumeroles, paysages rouges et roses ponctués d’étincelles : ainsi apparaissent les images de Sabatina Leccia, avançant vers le soleil, son propre visage, la présence des disparus, dans une matière photographique donnant la sensation d’être le produit de procédés alchimiques.

Premier poème (en cours) du romancier et critique d’art Yannick Haenel, fleur de feu intitulée La rose d’or, pluie de vers réjouissant la bouche, moments épiphaniques, vie sauvée, arbre séfirotique intérieur, amour fou : « Il y a au musée de Cluny une rose d’or provenant du / Trésor de la Cathédrale de Bâle, / le quatrième dimanche de Carême, le Pape en offrait une / à quelqu’un / dont / la piété / lui semblait remarquable / il n’en reste que / trois au monde, / lorsqu’on découvre cette rose aux feuilles d’or, / ce rosier, plutôt, à cinq tiges, aux petites feuilles ornées / d’entailles, / lorsqu’on s’approche de la grande rose qui / porte / en son cœur / blotti dans ses pétales, / un cabochon de verre bleu, / on goûte à la piété dont elle est le signe ardent, / ce qui fleurit en elle s’allume en vous / en moi / tandis que j’écris ce texte / où des feux s’allument comme des fleurs »

©Hervé Baudat

Quand tout s’effondre, tout brûle, tout est irradié, Anaïs Tondeur cherche des fleurs résistantes, nouvelles, neuves, prenant des « empreintes phytographiques » des plantes sur lesquelles elle se penche, envoyant  ces traces intimes sous la forme de lettres au philosophe Michaël Marder, qui leur répond en des missives lues aux premières intéressées dans un don/contre don de grande profondeur.       

Départs de feu.

Départs de fleurs.

Passeurs de feu.

Passeurs de fleurs.

Art du feu.

Art des fleurs.

« Feu ! c’est parti / Feu ! toujours partant / Feu ! le temps qui reste / Feu ! les faits et gestes / Sous la canicule ou dans l’air humide / Plus près des arbres, loin des abribus / Les myrtilles et les orties / Sous les tilleuls, dans les ruisseaux » (Florent Marchet)

Et vous, quel est votre feu ?

Revue Argument, Quel est votre feu ? carte blanche à Linda Tuloup, directeur de publication François Beauxis-Aussalet, hors-série, mai 2025, 126 pages

https://lindatuloup.fr/

https://revue-argument.fr/

https://www.helloasso.com/associations/association-revue-argument-publication-artistique-et-litteraire/boutiques/quel-est-votre-feu-carte-blanche-a-linda-tuloup

Linda Tuloup invite Martin Bogren, Fabien Chalon, Hervé Baudat, Magdalena Lamri, Valentin Retz, Jérôme Borel, Yosra Mojtahedi, Gael Rakotondrabe, Colin Lemoine, Gao Bo, Bruno Perramant, Sandrine Treiner, Léna Maria, Sabatina Leccia, Yannick Haenel, Anaïs Tondeur, Florent Marchet

©Linda Tuloup

L’exposition Quel est votre feu ? sera présentée à la galerie Olivier Watman (Paris), du 22 au 31 mai 2025

  • Vernissage le 22 mai 2025 de 18h à 21h

Programme : Lancement du hors-série de la revue Argument

Lectures dès 19h :

Feu liquide, de Colin Lemoine

Noir parfait, de Valentin Retz

Une déflagration, de Sandrine Treiner

Performance à 20h de Magdalena Lamri

  • Finissage le 31 mai 2025 | 17h-19h

Lecture à 17h de La rose d’or, de Yannick Haenel, suivie d’une performance musicale en duo avec Jérôme Borel

https://www.andrefrereditions.com/livres/nouveautes/brulure/

https://www.leslibraires.fr/livre/23824855-brulure-linda-tuloup-andre-frere-editions?affiliate=intervalle

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