
Hermann Hesse
« Ecrire en poète, c’est ainsi qu’on appelait autrefois ce que je faisais là, ce que j’ai fait toute ma vie, et personne ne doutait que cette activité fût au moins tout aussi valable et sensée qu’un voyage en Afrique ou une partie de tennis. Mais on taxe aujourd’hui cette activité de « romantisme » sur un ton de violent mépris. » (Hermann Hesse, 1928)
Très influencé par la pensée du psychologue des profondeurs Carl Gustav Jung, Hermann Hesse (1877-1962) n’écrit pas que des histoires, mais des biographies de l’âme.
Ses livres majeurs mettent en scène un personnage (Knulp, Demian, Siddharta, Harry Haller, Goldmund) confronté à des événements lui permettant d’accéder du moi – les croyances quant à sa personnalité – au soi, c’est-à-dire à la dimension spirituelle de sa vie, sa mission, son être profond.
Sous le titre Le métier d’écrivain – comme il y a chez Pavese Le métier de vivre -, Nicolas Waquet a regroupé cinq textes, rédigés entre 1918 et 1960, concernant les nécessités de l’écriture, l’acte de lecture, la critique, l’esprit du romantisme, le monde contemporain.
« La ‘vie moderne’, celle que l’on passe à l’usine, à la Bourse, au stade, chez les bookmakers, dans les bars et les bals des grandes villes, cette vie-là serait-elle vraiment meilleure, plus mûre, plus intelligente, plus souhaitable que celle des hommes qui ont écrit la Bhagavad-Gita ou bâti les cathédrales gothiques ? »
A la différence du musicien possédant une langue propre, l’écrivain est contraint d’utiliser le lexique plus ou moins quotidien.
« Le poète, lui, doit user pour son œuvre du langage qui sert à faire la classe et à conclure des marchés, à envoyer des télégrammes et mener des procès. »
Quand l’artiste, qui est un chercheur/découvreur, essaie d’employer un langage inconnu, il est souvent blâmé pour avoir déserté les communs suffrages.
Chaque mot, précise Hesse, est un monde en soi, ouvrant l’imaginaire, entrant en résonnance avec d’autres termes, d’autres images, d’autres sensations – les noms « Egypte » et « Renoir » sont donnés en exemple.
Dans le texte Une nuit de travail (1928), l’écrivain, faisant alors un arrêt dans la rédaction de Narcisse et Goldmud, expose ses difficultés et doutes d’homme de lettres quant au geste de création.
« Le genre de littérature que je pratique n’est guère le fruit d’un travail proprement rationnel qui dépendrait de la volonté et exigerait de déployer des trésors d’assiduité. Une nouvelle œuvre, pour moi, commence à naître dès l’instant où m’apparaît une silhouette qui peut devenir un temps le symbole et le dépositaire de mon expérience, de mes pensées, de mes problèmes. »
Mais, s’interroge Hesse dans un troisième texte, qu’est-ce qu’un bon critique ?
« Le critique-né est bien plus rare encore que le poète-né. En effet, dans son travail de critique, il n’est pas animé avant tout par le zèle et l’érudition, l’effort et l’empressement, l’esprit de parti, la vanité ou la méchanceté ; il est mû au contraire par une grâce qu’il s’est vu accorder, par une finesse et une puissance d’analyse innées, par la conscience de ses responsabilités en matière de culture. »
Si le critique n’est pas lui-même dans un effort d’élévation spirituelle à travers l’œuvre qu’il analyse, à quoi bon ?
Il faut l’amour, le sens de l’authenticité des émotions, et une qualité d’écriture pouvant dialoguer en poétique avec l’objet qui l’a convoquée.
La critique moyenne est une plaie, la critique haute est une grâce.
S’insurgeant contre « la psychologie freudienne des faux lettrés », Hesse plaide pour une intelligence critique qui n’use pas des apports de la psychanalyse pour réduire les œuvres géniales qui sont commentées, bien plus vastes que les étiquettes, bien plus libres que les jugements hâtivement informés.
La quête d’Hesse à travers la littérature et les personnages qu’il déploie est une recherche de l’Unité originielle, le point de vue classique se limitant au bornage des identités, quand elles sont fluctuantes, mutiles, métamorphiques.
« Le monde, précise-t-il, a besoin de ces deux perspectives, chacune complétant et corrigeant l’autre de mille façons. Le classicisme penchera vers la pédanterie et la momification lorsqu’il commencera à décliner. Le romantisme, à l’inverse, débouchera sur l’incurie et une molle apathie quand l’enthousiasme sacré l’abandonnera. »
Lire aujourd’hui Hesse, quand prolifèrent les entreprises de développement personnel, n’est pas sans profit, l’écrivain ne prônant pas la réussite de l’individu dans une société moribonde à laquelle il conviendrait de s’adapter au mieux, mais la lumière d’une vérité intérieure ayant valeur d’universel.

Hermann Hesse, Le métier d’écrivain, textes choisis, traduits de l’allemand, annotés et préfacés par Nicolas Waquet, collection Bibliothèque dirigée par Lidia Breda, Rivages, 2021, 96 pages
https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/le-m%C3%A9tier-d%C3%A9crivain-9782743653088
