Lancement de Pull My Daisy dans les rues de New York, photographies de John Cohen, noir blanc, 1959
Ó John Cohen, Courtesy L. Parker Stephenson Photographs, NYC
« Comme L’Âge d’or en son temps pour le mouvement surréaliste, Pull My Daisy demeure, avec le méconnu The End de Christopher MacLaine tourné dans le plus extrême dénuement à San Francisco en 1952, et loin des tapageuses récupérations hollywoodiennes qui suivirent, l’un des rares films à n’avoir pas galvaudé, formellement, l’esprit de liberté qui animait la Beat Generation, tout en réunissant, avant qu’elle ne se disperse, la fine fleur littéraire, photographique, picturale et musicale poussant à la frontière de la culture américaine. »
C’est en ces mots que l’historien du cinéma Patrice Rollet, cofondateur avec Serge Daney de la revue Traffic, évoque, dans un volume encore une fois remarquable des éditions Macula, un film aussi mythique que peu vu, et au casting hallucinant.
Imaginez réunis en des instants de paradis et d’indiscipline – les photographies de tournage, pour une grande part inédites, du musicien et réalisateur de documentaires John Cohen en témoignent – les poètes Allen Ginsberg, Gregory Corso, Peter Orlovsky, mais aussi le peintre Larry Rivers, la comédienne Delphine Seyrig et d’autres beaux allumés, filmés en plans fixes et panoramiques laissant éclater tout en la contenant leur effervescente jeunesse.
Musiqué, scandé, soufflé, par le commentaire – traduit ici pour la première fois en français – de Jack Kerouac (« un fabuleux chorus où monologue intérieur et polylogue extérieur ne font désormais plus qu’un »), Pull My Daisy, réalisé par Alfred Leslie et Robert Frank (ses images des Américains commencent à être connues), est un film à la fois faussement improvisé (analyse très informée de Jack Sargeant) et d’une grande liberté d’inspiration.
Nous sommes en 1959, Shadows de Cassavetes ne date que d’un an, le jazz est partout, dans les corps, les mots – flux verbal ininterrompu de l’auteur de Docteur Sax – la rue, les appartements et les lits.
L’heure est désormais à la recherche d’authenticité, de spontanéité, de lumières fortes et de bonnes vibrations.
Paumés, fauchés, les membres de la Beat Generation sont aussi ces béats, clochards célestes que la vie dans sa pulsation pleinement retrouvée peut rendre fous de bonheur.
Film court (28 minutes) tourné en 16mm noir et blanc dans l’appartement d’Alfred Leslie sur la 4eme Avenue de New York à Manhattan, Pull My Daisy, inspiré du troisième acte de la pièce de Kerouac The Beat Generation or The New Armaraean Church, reçut immédiatement un accueil enthousiaste de la part de Jonas Mekas et des tenants de la contre-culture s’élaborant alors.
Interrogé sur Jack Kerouac, Alfred Leslie déclare : C’était un lecteur phénoménal, il avait la façon de parler la plus mélodieuse… Il avait une douceur qu’aucun autre poète n’avait. Oui, douceur était, je crois, le bon terme, une sorte d’authenticité. Une sorte de désir ; je crois que dans tout ce qu’il faisait, il y avait une humanité vraiment extraordinaire, et il était génial, une voix formidable, une diction formidable, une nuance dans l’expression. »
Aux jeunes gens d’aujourd’hui qui ont peut-être l’impression d’appartenir à une génération perdue, nous posons avec le personnage d’Alan (Allen Ginsberg) cette question adressée d’abord à l’évêque du film : « L’ignorance se propage-t-elle au-dessus de l’échelle argentée des colombes chérifiennes ? »
Jack Kerouac, Robert Frank, Alfred Leslie, Pull My Daisy, traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Yersin Legrand et Philippe Mikriammos, introduction de Patrice Rollet, texte de présentation de Jack Sergeant, 75 photographies de John Cohen, éditions Macula, 244p
Ouvrage publié avec les éditions Centre Pompidou, à l’occasion de l’exposition Beat Generation qui s’y tiendra du 22 juin au 3 octobre 2016 ; commissariat Philippe-Alain Michaud
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