La fragilité et le chaos, par la photographe Bérangère Fromont

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Les adolescents qu’aime photographier Bérangère Fromont appartiennent à la nuit. Ce sont des ombres de chair à la recherche de leur désir, des traces d’énergie pure traversant l’espace tels des comètes.

Choisissant la marge et les lisières pour leur capacité à concentrer des points de résistance, Bérangère Fromont photographie peu, mais avec une sorte de rage calme, ne craignant pas d’être aveugle au moment de la prise de vue.

Ses images sont des lucioles, mais ce sont aussi des rescapées, fragiles et déterminées.

Habiter artistiquement, éthiquement, politiquement, la frontière est pour Bérangère Fromont de l’ordre d’une nécessité intime.

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Qui ont été vos guides en photographie ? Vous avez effectué des workshops déterminants avec Claudine Doury et Antoine d’Agata. Que retenez-vous de l’enseignement de chacun de ces artistes ?

Claudine Doury et Antoine d’Agata ont beaucoup de points communs dans leur façon d’enseigner. J’avais entendu parler de leur qualité de passeurs avant de les choisir. Ils partagent la même exigence et la même implication.

Antoine d’Agata m’a appris à sortir de ma zone de confort. « Too much is not enough » : l’essence de son message tient dans sa phrase fétiche. Quand je suis tentée par une certaine forme de facilité, je pense toujours à ses mots. Etre clair par rapport à sa position de photographe. Avoir une éthique rigoureuse face aux sujets et dans l’utilisation des images.

La rencontre avec Claudine Doury a été fondamentale. C’est le premier workshop que j’ai suivi. Elle m’a aidée à trouver mon écriture. Je n’avais pas été élève d’une école de photographie et je complexais. J’ai beaucoup appris à ses côtés, notamment à résister et à ne pas chercher à plaire. On travaille beaucoup sur les images avec elle. Leur agencement, leur relation entre elles. L’éditing est devenu un plaisir grâce à Claudine.

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Vous allez bientôt exposer à l’Hôtel Fonfreyde de Clermont-Ferrand. Avez-vous prévu de montrer d’autres images que celles de votre série Cosmos (André Frère Editions, 2015) ?

Justement, je n’expose pas Cosmos. C’est la série I don’t want to disappear completely qui sera montrée, un travail commencé en Lettonie, avec quelques heures seulement de prises de vue. J’attends un nouvel été pour y retourner. C’est un récit allégorique sur la fin de l’enfance, qui est à la lisière du documentaire, un nouveau chapitre sur l’adolescence après Cosmos. Je veux en faire encore deux ou trois.

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Cosmos est édité avec un très grand soin par André Frère. Comment avez-vous travaillé avec votre éditeur ? Quelles étaient vos exigences mutuelles ?

Cosmos est mon premier livre. André frère est un éditeur reconnu. J’ai écouté ses conseils, ses propositions, et j’en ai apporté certaines. La collaboration a été très simple. Je me suis fiée à son expérience.

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Vous êtes née à Martigues, avait mis en exergue de votre livre un texte de Dominique Cabrera, auteure d’une adaptation cinématographique du livre de Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, dont l’action se déroule à Marseille. Revendiquez-vous votre ancrage au Sud ?

Je le revendique, oui, mais pas dans mon travail photographique. Dominique Cabrera a vu mes images à Arles dans une exposition collective. Elle était en repérage à Marseille pour son film Corniche Kennedy. Elle m’a dit qu’elle aimerait écrire sur mon travail. Mon regard sur la jeunesse lui plaisait. Justement parce que c’est le sujet de son film.

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 La force et la fragilité de l’adolescence semblent vous fasciner. Pourquoi ?

Oui. Ce paradoxe est inhérent à l’adolescence, dont le corps est par définition porteur de chaos. Elle est avant tout un prétexte pour aborder une notion plus large, celle de résistance. Je ne cherche pas à documenter l’adolescence. Je cherche à en saisir l’essence. Je m’appuie sur la réalité et cherche à dégager des allégories.

Les adolescents vivent dans un monde parallèle, détaché des contraintes sociales. Ils sont encore porteurs d’une forme de romantisme et de pureté. Je les vois un peu comme les fameuses lucioles de Pasolini, métaphores de l’humanité par excellence, réduite à sa plus simple puissance, « signaux humains de l’innocence anéantis par la nuit ».

Je considère l’adolescence comme un état d’esprit. Une façon de se positionner face au monde, aux compromis. Elle est politique. Résister toute sa vie au monde des adultes, au cynisme.

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A quoi correspond le choix du noir et blanc ?

Le noir et blanc s’est imposé. Quand je commence une série, je visualise des images avant de penser. Celles que j’ai vues dans la forêt lettone étaient en noir et blanc.

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Qu’attendez-vous de la nuit ?

Le monde de la nuit est aussi un monde parallèle. Je la pense comme un espace et non comme une période.

Mes deux séries sur l’adolescence respectent quasi parfaitement la règle des unités propre à la tragédie classique : unité de lieu, de temps et d’action. La nuit permet formellement de créer cette unité.

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Métaphoriquement, elle représente ma vision du monde moderne, aveugle, effrayant et chaotique. Je la mets en opposition avec les corps fragiles des adolescents. Quand la nuit est au plus profond, elle agit comme révélateur. Nous pouvons voir la lueur la plus fragile.

L’idée de marge, de résistance à la norme, conduit-elle votre sensibilité ?

Oui. Elle est fondamentale. Le confort c’est le renoncement. Mon rapport à la photographie est lié à cette idée. Je suis attirée par la marge depuis très longtemps avant même mon adolescence, pas seulement artistiquement.

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Votre expérience lettone a-t-elle été capitale ? Qu’avez-vous vu à l’Est ?

Je suis restée très peu de temps en Lettonie. C’était dans le cadre de l’ISSP (International Summer School of Photography), que je recommande à tout le monde. J’ai adoré l’énergie, la modernité et la liberté des jeunes artistes que j’ai rencontrés là-bas.

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Vos images sont à la fois sombres et pudiques. Quelles audaces ne vous autorisez-vous pas ?

Mes limites sont éthiques, liées à mon rapport au modèle. Je fais très attention à ma place de photographe, de regardant. Quel droit je me donne d’exposer ces gens au regard des autres ?

Il m’a fallu du temps pour me réconcilier avec cette question. Je demande aux adolescents de faire les images avec moi. Je ne me cache pas, je leur demande d’être actifs. Nous créons les images ensemble. Je photographie ce qu’on me donne, pas ce que je prends. Dans la forme, par contre, je ne m’impose pas de limites. L’utilisation du flash par exemple sur les deux séries était nécessaire. J’avançais souvent à l’aveugle dans la nuit profonde, il me servait aussi d’éclairage. Pour la série Cosmos, en argentique,  j’ai découvert certaines scènes avec les négatifs.

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Vous semblez fonctionner avec une économie minimale. Est-ce un choix moral ? On peut avoir l’impression que vos images sont des rescapées.

Moral, oui, d’une certaine façon. La prolifération des images que nous subissons au quotidien m’oblige à une attention décuplée. C’est très beau cette idée d’images rescapées, merci. On ne peut pas dire que je sois une photographe prolifique. Je prends peu d’images. Par contre, je passe beaucoup de temps à éditer.

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La photographie est-elle pour vous une façon de rentrer au contact de l’autre ?

Forcément, mais ce n’est pas ma motivation première.

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Quelle adolescente étiez-vous ? Une jeune fille sage promise à l’hypokhâgne ? Une révoltée masquée suivant la voie académique ?

J’étais une adolescente révoltée et solitaire. Ma révolte était intérieure. Elle passait beaucoup par la lecture. La découverte de la philosophie a été déterminante. Elle nourrissait ma colère et mon incompréhension de la société. Aussi, j’étais obsédée par la guerre d’Espagne. Mon grand-Père était un ouvrier républicain espagnol. Il a combattu Franco et a dû fuir en France. Je ne l’ai pas connu, mais j’ai grandi avec son mythe.

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Bérangère Fromont, Cosmos, André Frère Editions, 2015

Site de Berangère Fromont

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André Frère Editions

Festival Circulation(s) hors les murs, Bérangère Fromont, Miia Auto, Poline Harbali, Sasha Maslov et Mathias Zwick, Hôtel Fontfreyde (Clermont-Ferrand), du 4 mars au 4 juin 2017

Hôtel Fonfreyde Centre Photographique

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Mary Claquin dit :

    Très Belles photos mais que je ne mettrais pas chez moi……

    J’aime

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