American Dream, par Sylvie Meunier et Patrick Tourneboeuf

Révélée bientôt dans le cadre de l’exposition Autophoto (20 avril – 24 septembre 2017), à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris), la collection de photographies anonymes réunies par Sylvie Meunier et Patrick Tournebœuf, cofondateur du collectif Tendance Floue, est passionnante, dans sa façon d’évoquer sur un mode inconsciemment élégiaque le rêve américain (American Dream, livre publié aux éditions Textuel).

Dans sa simplicité ou nudité même – des snapshots amateurs de petits formats carrés, bordés d’un liseré blanc, montrant des voitures et leurs propriétaires – l’ensemble de cette collection d’images presque pauvres est d’une richesse fascinante, tant pour l’ethnologue des sociétés industrielles perfusées à l’imagerie hollywoodienne du bonheur, que pour le regardeur s’enchantant de sa propre naïveté de possédant.

Dans un court texte apparaissant en fin de volume, Sylvie Meunier et Patrick Tournebœuf expliquent leur démarche : « Un dimanche matin d’avril 2010 nous découvrons, au Salon du Livre et des Papiers anciens, une boîte en carton contenant en vrac des petits tirages issus d’albums de photos. Nous cherchons, nous regardons et posons sur la table trois, cinq, puis dix photographies. Elles sont carrées, en noir et blanc, américaines, prises après-guerre. Et sur toutes, une voiture, une maison et des personnes qui posent. C’est le point de départ de notre collection et en même temps tout est déjà là, entre nos mains. Depuis, nous continuons, mis après mois à recueillir ces images, à les mettre ensemble. Le sujet se révèle, le portrait d’une époque se dessine. »

On sait, s’il fallait s’en persuader, depuis Les Mythologies de Roland Barthes (1954/1956), que la voiture est un fétiche : « Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique. »

« Objet superlatif », « messager de la surnature », la voiture est une puissance, un totem auprès de qui trouver refuge, et auquel s’aliéner volontairement.

Les chevaux mécaniques ont remplacé ceux, plus sauvages, des derniers Désaxés (Misfits), nouveaux cow-boys du bitume, flattant la carrosserie de leur mécanique, comme leurs aînés l’encolure raide de leurs mustangs.

Ford nous possède en nous envoûtant, mais nous rêvons de posséder notre maître.

Nous sommes souriants, en couples, jeunes mariés, vieux briscards, voyageurs de commerce, en famille, timides, fiers comme des bataillons d’Artabans, en noir et blanc, couleurs Kodak, parfum d’époque.

Nous partons au travail, en revenons, avons accompli notre rêve d’achat, rendons visite à la famille – voyez comme nous avons réussi ! -, rangeons le coffre pour les vacances, nous garons juste devant la maison et le gazon bien tondu.

Souriez, vous avez capturé le Minotaure.

C’est la revanche des classes moyennes, et des Nathalie Wood de l’Arkansas.

C’est le monde en albums photos épico-triviales, comme le vieil Hemingway posant, triomphal, dérisoire, aux côtés de l’espadon qu’il a vaincu.

C’est le rêve américain, et le fantasme d’être quelque chose, plutôt que de n’être rien.

American Dream, photographies anonymes réunies par Sylvie Meunier et Patrick Tournebœuf, texte de Marie Cordié Levy, éditions Textuel / Les Instantanés ordinaires, 2017, 176p – 112 photographies. Parution le 29 mars 2017.