En période politique troublée et de désorientations de toutes sortes, la beauté sereine et mystérieuse des images du photographe américain Harry Callahan fait tout simplement du bien.
Don de l’auteur à la Maison européenne de la photographie (Paris), les French Archives (catalogue superbe publié par Actes Sud) sont constituées de cent trente tirages.
Il est frappant, et savoureux, de constater que, formellement, ces images conçues à Aix-en-Provence sont dans une grande proximité de regard avec celles prises à Chicago et dans le Middle West américain. Les apparient un même « rapport à la ville et à l’architecture, ses photos de rue dont les silhouettes furtives sont le plus souvent féminines, son approche minimaliste de la nature, et, bien sûr, la présence constante d’Eleanor, son épouse. »
Qu’il photographie les Etats-Unis, la nature en sa souveraineté et sa pleine autonomie, ou, en 1957-1958, la cité provençale de Blaise Cendrars, Harry Callahan est habité par une même vision, et un souci permanent de perfectionnement graphique.
Les rues d’Aix-en-Provence sont pour lui un théâtre d’ombres, les noirs sont profonds, et le souci de géométrisation fait penser aux images mexicaines de Cartier-Bresson.
Des silhouettes passent entre les bâtiments, personnages furtifs, forts et fragiles, dans un décor qui les isole, photogrammes d’un film noir à la dimension métaphysique assumée.
Ce sont des apparitions, des fantasmes, des preuves d’une vie secrète intense.
Beaucoup d’images, généralement prises à quelques minutes d’intervalle, fonctionnent en duos, telle une variation sur un même thème, parvenant à rendre palpable l’épaisseur du temps.
Le goût de Callahan pour les surimpressions est ici merveilleusement rendu par l’union du corps d’Eleanor, notamment le triangle de son pubis, et celui d’une nature généreuse dont elle semble surgir.
Nul doute que le bonheur de son séjour en Provence (il réside à L’Harmas, l’ancienne propriété du peintre surréaliste André Masson) ait permis au photographe – qui fut professeur pendant trente ans à l’Institute of Design de Chicago, où il fut recruté par Moholy-Nagy, un des fondateurs du Bauhaus – d’approfondir ses recherches inspirées, tant ici la sensation de plénitude de l’artiste semble présente, comme si un grand calme autorisait ses audaces formelles.
Très expressives, ses images provençales sont avant tout des paysages intérieurs, des calligraphies presque orientales, des abstractions propices à la méditation.
Des virgules d’êtres jouent dans la neige. Autour d’eux, le blanc, immense, qui bientôt les engloutira.
Et s’il n’était pas impossible de prier en photographie ?
Harry Callahan, Minicam Photography, 1946 : « La photographie est une aventure, tout comme la vie est une aventure. Si quelqu’un veut s’exprimer avec la photographie, il doit avant tout comprendre sa relation à la vie. »
Harry Callahan, French Archives, Aix-en-Provence 1957-1958, textes de Jean-Luc Monterosso, Peter MacGill, Laurie Hurwitz et Pascal Hoël, Actes Sud / Maison Européenne de la Photographie, 2016, 138 pages
Surprenante, cette oeuvre. L’article que vous publiez est riche de pistes et demain, au Musée Granet, je vais les croiser. Merci.
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