
Magnifiquement adressé à Eurydice, L’entre temps, de Christine Lefebvre, peut être vu comme un voyage au pays des morts, Orphée étant une photographe ramenant du royaume d’Hadès de jolies femmes au dos nu.
Pour son premier livre (Filigranes Editions), Christine Lefebvre fait montre d’une grande maîtrise formelle et poétique, pensant son ouvrage comme une traversée des champs inférieurs.

La nuit est profonde de laquelle émergent des icebergs, des névés, des entités orphelines, des nymphes dressées, courant, couchées, mystérieuses comme des gemmes de glace.
Chaque présence est une grâce, une terreur, un instant de désir pur, un effondrement possible.
Un oiseau blanc s’envole, c’est un triangle battant l’espace, un sexe féminin intouchable ayant pris le chemin des airs.

Eurydice ne nous verra jamais, nous ne connaîtrons que son dos, armature de vertèbres et d’omoplates, séduction de la chevelure relevée ou écartée, tombant parfois jusqu’à l’orée des fesses.
Fixées sur la page, ces longues surfaces de chair sont des espaces de projection, des lacs levés en des territoires d’ombres.
La roche innervée de sources féminines est parcourue de veinules d’eau, de miroirs où plonger sans retour.

L’entre temps de Christine Lefebvre est un conte noir romantique bordé d’escarpements vertigineux, d’arbres fantomatiques et d’astres de peau soumis à la chute des corps.
La sorcière de Michelet y côtoie des jeunes filles nervaliennes, des rêves de femmes offrant furtivement à la lumière le velours épais de leurs ténèbres.
Virgules d’êtres, tubercules torves, ces apparitions sont des fillettes espiègles passées par le chas d’une aiguille, ou les parois d’une montagne.

La brume et le flou dessinent des contours qui sont des paysages taoïstes, des temples pour accueillir les esprits de la nature.
Dans le tremblement de leur aura s’avance la cohorte des dos, sans que l’on sache vraiment qui sera la première à porter le diadème.

Les gerbes d’eau sont des laves éructantes, un fleuve de fumeroles méphitiques.
Il y a danger à trop arpenter les zones interdites.
A la lisière du dos de la dernière des femmes commence la métamorphose du regardeur en caillou de méditation, dais de neige ou envol du sable froid dans la tempête calme de la chambre photographique.

Christine Lefebvre, L’entre temps, texte de Corinne Mercadier, Filigranes Editions, 2017, 82 pages
