Guillaume Bonnel est photographe, docteur en droit de l’environnement et de l’urbanisme, membre du collectif France(s) Territoire Liquide, et membre fondateur du collectif L’œil arpenteur.
Son livre Orthèses (ARP2 Editions, 2017) est issu de l’exposition éponyme ayant eu lieu au Pavillon de l’Architecture à Pau du 5 décembre 2013 au 30 janvier 2014.
Orthèse est aussi un très beau concept appliqué aux interventions faites par l’homme à la nature, soit un ensemble de constructions, structures, « artefacts » (Raphaële Berto) construisant dans le paysage de nouveaux ordres de lecture, des directions, des orientations du regard.
Dans les montagnes pyrénéennes, non pas abordées comme des territoires d’effroi, de sublime écrasant ou de défi, mais comme des espaces accueillant placidement l’orgueilleuse petitesse humaine, Guillaume Bonnel s’attache à rendre compte, avec une distance très juste, ayant nécessité des heures de repérages, d’arpentages, d’objets violentant la nature pour le bien des hommes, barrages hydrauliques, conduites d’eau, plateformes diverses, grillages, architectures pour contenir la neige et éviter les avalanches.
Tombe le fantasme d’un lieu adamique : impossible d’en douter, nous sommes à l’ère de l’anthropocène.
Dans Les Rêveries du promeneur solitaire (1778), Jean-Jacques Rousseau a décrit en préromantique le deuil de la terre inviolée, l’extase du marcheur croyant s’enchanter d’un monde premier, mais découvrant finalement, de l’autre côté de la colline, une manufacture en pleine activité.
Les images de Guillaume Bonnel sont d’une tonalité doucement fantastique, montrant des cicatrices, des coutures, une inquiétante étrangeté.
Flux, contre-flux, trouées, butées. Et des bizarreries pour le profane. Des incongruités, des discordances. Des écailles de fer, des carapaces extraterrestres, des armures de troisième type. Des signes isolés.
Les ouvrages de l’Office nationale des forêts affirment dans l’art de poser çà et là des édifices de rationalisation comme autant de preuves d’un désir de maîtrise, une façon de désigner la présence d’une intelligence technique capable de transformer l’indemne.
Ce sont parfois des œuvres de peu, mais qui sont aussi des menaces d’une emprise totale, certes dérisoire face au temps long des métamorphoses géologiques.
Les interventions sont parfois discrètes, et même souvent douces. Pourtant, l’enlaidissement des surfaces inentamées semble être l’une des constantes de la volonté de puissance humaine.
Le démiurge sourit peut-être, mais le roi est fondamentalement nu.
« L’orthèse est une hypothèse qui postule que dans certaines circonstances, et notamment dans les situations contraintes inhérentes aux zones d’altitude, les actions de l’homme sur le paysage prennent une dimension d’urgence instinctive, pour ne pas dire archaïque, et s’apparentent à une forme d’orthopédie ou de chirurgie à grande échelle. » (Guillaume Bonnel)
La montagne un havre de paix ? Oui, mais aussi un paradis pour ingénieurs en génie civil.
Guillaume Bonnel, Orthèses, textes de Raphaële Berto et Guillaume Bonnel, ARP2 Editions, 2017
Guillaume Bonnel participe à l’exposition de la BNF (Paris), Paysages français, une aventure photographique, 1984-2017, jusqu’au 4 février 2018
Le blog de Fabien Ribery 