
Au Royaume du Nord Est, dans le Vermont, Etats-Unis, entre Lowell, Salem, Wolcott et Sheffield, pour survivre, il faut savoir se taire, affronter le froid glacial et les bois coupants comme des lames de rasoirs.
Au Royaume du Nord, il y a des lacs où faire disparaître des cadavres, des chiens errants, des grands-mères sauvages.
Au Royaume, les couronnes sont des haches ou des tronçonneuses, qui tranchent à l’instinct la tête des maudits intrus.


Ici, on ne chasse pas par plaisir, ou pour s’émouvoir des mystères de la nature qui toujours fuit, mais pour se libérer de pulsions autrement incontrôlables.
Un shérif pose son révolver sur la table, ne le regardez pas trop fixement, il se pourrait bien que ce type-là vous coffre pour outrage à agent, ou plus simplement vous atomise d’une balle entre les deux yeux.
Ici, tout est silencieux, d’une sourde inquiétude, et, comme dans un film de David Lynch, la prison s’avère tout autant mentale que territoriale.


Les usines ont fermé, ne restent que des bêtes piégées, humaines ou animales, et des clefs à molette immenses entre les mains de géants sans emploi.
Aux abords de la forêt, il y a un restaurant, des chevreuils empaillés, une serveuse aux seins énormes comme des coups de poing étouffés par un tablier de cuisine.
Un client montre en riant son avant-bras, couvert d’entailles.


Les veines, belles garces, ont tenu.
Dans le placard du fond, il y a, alignés comme des troufions au garde à vous, la merveille de munitions se tenant à la verticale, des bâtons de rouge à lèvre pour tuer.
Maintenant, la brume recouvre tout, le Wanderer écoute une nouvelle fois un lied de Schubert, avant que de songer à repartir au plus vite pour sauver sa peau.


The Kingdom est un livre (éditions 77) du photographe Stéphane Lavoué, qu’accompagne en postface un très beau texte de la journaliste et écrivain Judith Perrignon.
Ce pourrait être un conte, s’il n’y avait une odeur persistante de sang caillé sur la couverture en cuir.


Les bottes ont pris l’eau, les pieds ont gelé, il faudra bientôt faire sauter quelques orteils au couteau à pain, à moins que la mélancolie qui marque ici chaque chose de son lointain ne s’en foute pour de bon.
Quand tout menace, s’absenter de son vivant est peut-être la meilleure des adaptations.
Stéphane Lavoué, The Kingdom, texte (anglais/français) Judith Perrignon, éditions 77, 2017 – 1000 copies

