Boris Van der Avoort est un réalisateur, monteur et photographe belge, que le grand public a pu connaître lors d’une installation sur les insectes, intitulée Imperceptible, au Palais Royal de Bruxelles en 2015.
Paraît aujourd’hui aux éditions ARP2 le superbe volume Le Champ des visions, livre contenant le DVD du film éponyme, ensemble célébrant la merveille du monde des insectes, son héraldique fabuleuse, son tempo propre, son étrangeté.
Fruit de quatre années de recherches iconographiques et bibliographiques, Le Champ des visions est un objet hybride alternant détails de peintures, extraits de livres, images prises à la loupe photographique, clichés et dispositifs de capture que l’on trouverait volontiers dans un cabinet de curiosités, ou dans les collections d’amateurs de la gent supposée inférieure tels que Pierre Bergounioux ou Jan Fabre.

S’approcher au plus près pour dévorer des yeux, s’allonger à plat ventre pour contempler ce qui d’habitude se dérobe à la vue, voilà des attitudes propres à l’enfance, ou aux adorateurs du monde intact.
Ozu filmait à hauteur de tatami, Boris Van der Avoort filmera à hauteur d’herbe.
« Tisserand », adepte du « gai savoir », le photographe cherche ainsi à rendre compte de la force de l’éphémère, et, dans une expérience métaphysico-ascétique, à se libérer du temps humain en tentant de pénétrer l’incommensurable du règne des insectes – un million d’espèces différentes répertoriées.

Toucher, être touché, plonger les mains dans la poudre d’or des élytres de milliers de papillons.
Echanger jusqu’au vertige les notions de soi et d’autre, se laisser affecter, métamorphoser.
Lire La Vie des fourmis de Maurice Maeterlinck, ou Masse et puissance d’Elias Canetti : « On écrase quelque chose de très petit, qui ne compte guère, un insecte (…) Ce comportement envers une mouche ou une puce trahit le mépris de tout ce qui est absolument sans défense, de ce qui vit fans un tout autre ordre de grandeur et de puissance que nous, qui n’avons rien de commun avec lui ; qui ne nous transformons jamais en lui, et qui ne le craignons pas, sauf s’il se montre soudain en masse. La destruction de ces créatures minuscules et le seul acte de violence qui, même en nous, reste absolument impuni. Leur sang ne retombe pas sur notre tête, n’appelle pas le nôtre. Nous ne regardons pas leur œil mourant. Nous ne les mangeons pas. Nous ne les avons jamais intégrées, du moins en Occident, dans le règne croissant, quoique assez peu effectif, de l’humanité. En un mot, les insectes sont hors la loi. »

Il y a de l’artiste baroque chez Boris Van der Avoort, attentif à l’ordre émergeant du chaos grouillant des créatures lilliputiennes, du Vermeer dans l’observation de la merveille géométrique des surfaces colorées des insectes, de l’artiste médiéval dans le goût des enluminures vivantes.
La mouche aura tes yeux, le papillon deviendra Tchouang-Tseu ou Nabokov, le scarabée te portera sur son dos, spectateur terrifié de la vie des méconnus parasites – quelle discrimination pour désigner ces génies du Bauhaus animal !
Aller vers l’Est, vers l’Asie, où la monstruosité est certes monstrueuse, mais aussi terriblement érotique, ainsi qu’une chevillière faite d’ambre baltique contenant la perfection de nécrophages.

Contrairement aux hommes, les insectes ne sortent qu’en tenue de fête.
Le masque, c’est l’être.
Giorgio Vasari : « Giotto a peint un jour sur le nez d’une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître, se remettant au travail, tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main ; il la crut vraie, jusqu’au moment où il comprit son erreur. »
Le mimétisme, c’est l’être.

Entendre en voix-off : « Le terme PSYCHE désigne étymologiquement l’âme… et le papillon. »
Du livre au film (quinze visions/chapitres, une structure sonore très riche), il y a tout l’apport de la pensée d’Eisenstein concernant l’art des gros plans, et la sensation du fantastique dans la découpe d’une réalité augmentée par le travail cinématographique.
Les petites bêtes remuent, volent, se contorsionnent, vaquent à leurs affaires.
Elles sont atrocement effrayantes, elles sont adorables.

Devenu chasseur, Boris Van der Avoort joue aux insectes, comme on caresse, enfant, le contour d’une bille qui fascine.
Ses installations sont des cages photographiques pour voyeurs fascinés (pardon, chercheurs intrigués), nous voici pourtant dans le plus incroyable des peep-show.
Chers amis, découvrez que les Musées des Sciences Naturelles sont des temples de luxure et de mort.
Comprenez aussi que Le Champ des visions relève d’un rite initiatique : « En Amazonie, lorsqu’un garçon a atteint l’âge de la puberté, il doit démontrer son aptitude à assumer le statut d’adulte. Lors d’un rituel d’initiation, on lui fait porter un pectoral, dans lequel on enferme des insectes piqueurs vivants : des fourmis, des guêpes, des abeilles… En dépit des piqûres ou des morsures, l’initié ne peut montrer le moindre signe de souffrance. Ce rite consiste à tester son courage et son endurance, et la piqûre ou la morsure de l’insecte est considérée comme une énergie positive transmise à l’enfant qui veut devenir adulte. »
Boris Van der Avoort, Le Champ des visions, photographies et textes, Halolalune Production / ARP2 Editions – édition comprenant le DVD du film éponyme