Zbigniew Dlubak, l’indépendance de l’art

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Zbigniew Dłubak – De la série Egzystencje [Existences], 1959-1966 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

Méconnu en France, Zbigniew Dlubak (1921-2005) est pourtant l’un des plus grands artistes de la scène polonaise de la seconde moitié du XXème siècle.

Ayant réalisé ses premières photographies dans le camp de concentration de Mauthausen en 1944, alors qu’il y est interné pour faits de résistance, Dlubak n’aura de cesse d’expérimenter un art que le pouvoir officiel de son pays ne supportait que dans sa dimension étroitement réaliste.

Se heurtant à la censure, l’artiste ayant participé en 1948 à Cracovie à l’exposition fondatrice, Ire Exposition d’art moderne, organisée par le plasticien-dramaturge Tadeusz Kantor, explora la photographie en ses multiples dimensions, la menant, aux lisières de la peinture, vers l’abstraction, faisant de son médium un outil d’intensification du réel, tout en réfléchissant à la scénographie des expositions conçues comme un organisme vivant.

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Zbigniew Dłubak – Sans titre, vers 1970 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

Le corps est ainsi au centre des préoccupations de Dlubak, ses nus construits selon une logique de séries touchant le même modèle (son dos, ses fesses, son buste) fragmentant jusqu’à l’hypnose l’objet de sa fascination.

Art pleinement moderne, « en phase avec le rythme de la vie », « obsédante », la photographie relève pour Dlubak du merveilleux existentiel tel que l’avaient pensé les surréalistes, et d’une capacité à révéler au cœur même de la réalité un ensemble vivant d’ordres cachés.

Il y a donc dans la vision photographique une possibilité de libération du regard, une possibilité de vivre autrement, mieux, élargi.

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Zbigniew Dłubak – Série Gestykulacje [Gesticulations], 1970-1978 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

La Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris) nous donne aujourd’hui la chance de découvrir cette œuvre superbe, dense, étonnante, dans une exposition dont le catalogue éponyme, Dlubak, Un héritier des avant-gardes, est confié aux éditions Xavier Barral – livre accompagné de deux textes, de l’historien de l’art Eric de Chassey sur l’exposition cardinale de 1948, et de Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice au Centre Pompidou, sur le rapport de Dlubak à l’art conceptuel tel qu’il apparaît en Pologne dans les années 1970.

Destiné à devenir peintre, Dlubak pratiqua toute sa vie une politique du décloisonnement l’amenant jusqu’aux rivages de l’enseignement, du monde des galeristes (création avec les époux Lachowicz de la galerie Permafo à Wroclaw), et de la presse (il fut rédacteur en chef de la revue mensuelle Fotografia, de 1953 à 1972).

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Zbigniew Dłubak-  Ulice sa dla ludzi, nie dla Slonca [Les rues sont pour le soleil et non pour les hommes], 1948 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

Théoricien de son art, le photographe installé en France, à Meudon, en 1982, tenta toute sa vie de « réconcilier photographie et arts plastiques » (Karolina Ziebinska-Lewandowska).

Appareil d’enregistrement, le boitier photographique est aussi outil de production de réalité, de transformation de la perception, et de méditation.

En témoigne la série Asymétrie, s’élaborant entre peinture et photographie, jeu de formes propices au décalage, au trouble lié à la volupté des matières archaïques, que relance le choix des titres dont l’importance est fondamentale, telles des notes musicales structurant les conditions de réception : Les rues sont pour le soleil et non pour les hommes, Le supplice de la faim fait peur la nuit, Perdu dans mes pensées.

La proximité de Dlubak avec la poésie des signes premiers frappe d’autant plus que l’artiste choisit d’illustrer le poème de Pablo Neruda, « Le cœur magellanique », par des images célébrant l’inventivité d’un magma créateur, peignant le monde pour l’incarner.

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Zbigniew Dłubak – Asymetria [Asymétrie], 1987 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

La sensibilité aux forces qui organisent le vivant est remarquable, entre brûlures et bouillonnements, comme si l’inconscient laissait deviner ce qui le constitue.

Les séries Existences et Paysages sont d’autant plus émouvantes qu’elles sont d’une grande simplicité, très attentives à la proximité de ce qui est, sans discrimination, qu’il s’agisse d’un radiateur, de pots de peinture ou d’une fenêtre ouverte. Ce travail sur le peu de réalité est aussi une façon de prendre possession de l’atelier dans lequel Dlubak travaille désormais à Varsovie.

L’image est mise en abyme, elle se multiplie, déjoue les pièges du naturalisme voulu par la propagande, invente d’autres territoires où habiter en silence, loin du fracas de l’Histoire.

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Zbigniew Dłubak – Sans titre, vers 1948 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

La peinture est ici peut-être davantage affaire de cadrage que de matière.

Les terrains vagues, les murs effondrés, les poteaux télégraphiques, les mares, les neiges sales, n’indiquent pas la géographie d’une interminable mélancolie, mais l’énergie de ce qui s’invente à chaque instant, entre surgissement et dégradation.

L’étude du nu est pour Dlubak une constante, le peintre-photographe cherchant à la fois à célébrer la beauté, voire l’étrangeté anatomique, le corps étant considéré comme une planète à explorer, et les imperfections ou détails inattendus concourant au renouvellement de nos représentations fantasmatiques.

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Zbigniew Dłubak – De la série Egzystencje [Existences], 1959-1966 © Armelle Dłubak / Fundacja Archeologia Fotografii, Varsovie

La multiplication sous la forme de variantes (au nombre de douze, comme le « nombre de vues sur une pellicule de moyen format ») de mains ou de parties d’un corps féminin nu anonymé (pas de visage) entraîne le regard du côté de l’abstraction géométrique, tout en initiant une réflexion de nature anthropologique concernant notre façon d’habiter notre corps et notre gestuelle.

Dlubak complètera ensuite ses recherches par des propositions de scénographie donnant à la photographie un relief inédit par le biais d’installations à vocation immersive.

L’artiste du Gruppa 55 écrivait en 1973 : « Le rôle social de l’art consiste à introduire dans la conscience humaine le facteur de négation, il permet de mettre en doute la rigidité des schémas et des conventions dans le rendu de la réalité. »

Rendez-vous le plus tôt possible à la Fondation Cartier-Bresson pour en prendre acte.

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Dlubak, Un héritier des avant-gardes, textes de Karolina Ziebinska-Lewandowska et Eric de Chassey, éditions Xavier Barral, 2017, 256 pages – 227 photographies N & B, 31 dessins et peintures

Découvrir le volume Dlubak aux éditions Xavier Barral

Exposition éponyme à la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), du 17 janvier au 29 avril 2018

Entrer à la Fondation Henri Cartier-Bresson

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Se procurer le volume Dlubak, Un héritier des avant-gardes

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